La terrible bête

Si on parle de la dépression, on vous répond qu’il faut agir sur la recapture de la sérotonine, ou sur la dopamine ou… la chimie du cerveau est en cause. C’est vrai, mais la chimie du cerveau, ce n’est pas indépendant de la vie. En 1950, la dépression était une maladie très rare ( une personne sur 50 000) et très grave, qui réagissait bien aux électrochocs. Maintenant dans les pays dits développés, c’est une personne sur dix qui connaîtra un épisode de dépression grave dans sa vie, et dans certains pays une personne sur 5. En France, (selon le CREDES) la prévalence de la dépression a été multipliée par six entre 70 et 97 et l’augmentation continue encore.

C’est vrai que quand notre outil est un marteau, tous les problèmes sont des clous. On ne sait pas ce qui se passe c’est donc de la dépression. Et puis, non! Il y a réellement un problème. Cette épidémie est une conséquence de l’organisation sociale, de notre mode de vie. L’humain est un animal clanique depuis plus longtemps qu’il est ce que nous qualifions maintenant d’humain, et ce n’est pas les derniers 50 ou 100 ans qui y changent quelque chose. Nous sommes fait pour vivre dans un réseau très dense de sensations, d’odeurs, d’interactions qui nous sécurise et nous identifie continuellement comme membre d’un groupe, qui affirme notre identité d’un « je » parmi un nous.

La dépression c’est le manque de cette relation. La dépression est une maladie de la communication.

J’ai une amie très chère, une femme forte, une mère parfaite, une réussite professionnelle, et pourtant. C’est un barrage qui protège le bonheur et la sécurité de ses enfants contre le monde, contre les autres, et pourtant. Derrière ce barrage monte l’amas de toutes les petites misères des jours et qui se noie dans une rivière de larmes qui ne sortent jamais. Ou presque, on voit bien que la pression est trop forte, ça craque, ça coule un peu partout, semble-t-il pour rien… j’ai peur.

J’ai peur que le barrage cède, et s’il cède, ceux en aval seront touchés, cela fera des dégâts. Et comme il n’y a pas de sortie à ce puissant barrage, comment ne cédera-t-il pas?

Je suis intimement persuadé que vous aussi, vous connaissez des personnes comme mon amie. Comment leur dire que nous avons besoin des autres, et qu’il y a beaucoup des autres, moi, vous et combien d’autres, tous prêts à simplement être là, à écouter, à toucher, sans vraiment trop comprendre, sans vraiment avoir de solution à donner.

Parce que la seule solution est de faire sentir que oui, tu n’es pas seule, tu es parmi nous.