La voix d'Inuussia

Chez les Inuit, les histoires de transferts humains-animaux sont très fréquentes. Il y a beaucoup d'homme-ours, d'homme-loup, d'homme-caribou. Il y a encore d'avantage de femmes qui se transforment, cela tient de la nature du chamanisme Inuit. Un peu de douceur dans la rude exigence du Nord. Un conte pour remercier Dam, sans qui je n'aurais pas de blog.

La nuit était très noire et sans vent. La vieille Inuussia essayait de sortir de l'iglou sans faire le moindre bruit, sans réveiller les autres. Mais ces articulations craquaient, et dans son excitation, ses gestes étaient gauches, et elle s'accrochait partout. Les autres tentaient par tous les moyens de faire semblant de dormir, de ne pas intervenir. Il était cependant difficile de tenir les petits silencieux, tout curieux de savoir ce qui se passe.

On savait depuis toujours qu'elle sortait comme ça la nuit, quelques fois par année. Jadis, certains avaient tentés de l'empêcher, mais elle avait tellement pleuré, était manifestement tellement malheureuse, qu'on avait décidé de faire semblant de ne pas le savoir. De la laisser aller puisque c'était si important pour elle.

Jadis des gens l'avaient suivi sans bruit pour savoir... et ils avaient rapporter des choses tellement impossibles qu'il était préférable de ne pas croire ce qu'ils racontaient. Et puis même si c'était vrai, qu'est-ce que ça change, depuis longtemps le groupe n'avait pas eu faim, n'avait pas eu froid. Et puis c'est peut-être parce que c'est vrai, alors il vaut mieux ne pas écouter tout ce qui se raconte.

On avait dit qu'Inuussia marchait jusqu'à la mer, marchait jusqu'à un trou de pêche dans la glace, qu'elle enlevait tout ses vêtements et qu'elle se couchait nue sur dans la neige, et qu'après un moment elle glissait doucement dans l'eau froide, pour y rester très longtemps. Sornette, on voit bien que ce sont des mensonges. On ne peut pas plonger dans dans l'eau glacée et y rester longtemps sans mourir. Comme Inuussia est à chaque fois revenue, c'est impossible.

Ce soir, le vieux Saana a décidé de la suivre. Il n'est pas beaucoup en meilleur état qu'elle, mais peut-être pourra-t-il la protéger si quelque chose arrive. Le vieux Saana avait longtemps été son compagnon préféré, et si maintenant cela ne voulait plus rien dire, il gardait une tendresse pour cette femme si habile dans les jeux entre les couvertures. Il prit bien son temps pour se vêtir et sortir de l'iglou, elle marchait si lentement, si gauchement qu'elle n'avait pas la possibilité d'aller très loin.

En avançant doucement, Saana vit la vieille se dévêtir, ce corps nu, déformé, meurtri se coucher sur la glace. Il a eu à regarder ses propres pieds pour ne pas tomber, et quand il releva la tête, il y avait devant lui toute la grâce et la souplesse du corps lisse d'un phoque. Pour fêter l'évènement, le ciel éclata d'aurores boréales et toutes ces lumières firent briller la fourrure lustrée de la bête.

Inuussia glissa dans l'eau et commença une douce danse, le monde entier lui était caresse, et tout son corps se fit passion. Saana se pencha sur le trou dans la glace pour voir et entendit la voix:

Il en fut profondément heureux, mais ne la rejoignit pas dans l'eau. Il refusa de devenir ours, parce que l'ours et le phoque ne peuvent être ensemble, mais ils peuvent se transformer pour s'aimer.