mardi 16 mai 2006

Encore des baleines

En sortant le chien ce matin, je me suis fait vertement engueuler par une délégation d’oiseaux. Ils n’ont rien contre les baleines, mais il faut aussi que je parle des oiseaux. Excusez-moi amis à plumes, demain promis, je ferai un cours d’introduction à l’ornitho-linguistique. Mais il me faut encore parler de baleines, elles sont si importantes dans le lien qui nous unit tous et qui s’appelle la vie.

Il y a d’abord les cachalots. Des moines des profondeurs, méditatifs, strictes et sévères qui ont une conscience aigüe du temps. Grâce à la puissance extraordinaire de leur voix, ils maintiennent le rythme sans lequel les messages n’auraient pas de sens et la communication impossible. Et puis il y a les bleues, la plus grande bête ayant vécu sur Terre, la puissance vibrante, le souffle et l’appel de la vie. Les baleines communes qui n’ont rien de commun apportent la douceur, le fait qu’on peut se sentir bien en se laissant porter par le chant. Enfin, les mégaptères apportent la joie…

Lègeres ( que 40 tonnes) espiègles, rieuses toujours prêtes à jouer, elles sont la preuve que l’intelligence est sérénité, que la vraie beauté est dans l’équilibre des choses. C’est pour cela qu’elles dansent, qu’elles bondissent hors de l’eau, qu’elles jouent à qui fera le plus d’éclaboussures pour que la joie soit dans le chant du Monde.

Bien sur je ne peux pas nommer ici la part de chacun, parce que chacun à sa partie du Chant et que c’est un peu notre tâche de découvrir qu’elle est la notre, comment participer à notre manière sans fausser ni détruire l’harmonie et l’équilibre. Mais ma copine Isa l’épaulard m’en voudrait beaucoup si je ne parlais par de son chant qui est le plaisir du corps dans l’effort, le bonheur de sentir ses muscles réaliser, faire, se dépasser.

Bien sûr le capitaine du Sedna ne croit pas aux fadaises que je raconte. C’est un sérieux scientifique qui mesure, compte, et ne répète que ce qui est vérifiable. Pourtant dans un échange radio hier, il a raconté les 5 heures de conversation avec Apotom. Bien sûr elle a beaucoup joué, lancé de l’eau et fait des facéties pour mettre en confiance. Mais cette baleine du grand Sud qui n’avait presque jamais rencontré d’humains et jamais d’aussi près a voulu poser les deux questions qui lui tenaient à cœur : Pouquoi brisez-vous l’équilibre du Monde ? pourquoi tuez-vous vos semblables les baleines?

Merci

Plusieurs savent combien j’ai peur des mots, combien j’ai peur de cette langue française si difficile avec plein de règles farfelues et des sens qui ne sont pas les même des deux cotés de la mare aux canards. Parce que j’essaie de dire dans la nuance et la douceur, mais cela s’étale dans l’évidence d’une différence de point de vue. Nous sommes sur la même planète, mais je ne la sens pas de la même manière que votre télé.

Ce blog on me l’a presque imposé. On m’a demandé : qu’est-ce que tu veux? J’ai dis que je rêvais de beaucoup de blanc, qu’il fallait sentir le vent sur la neige, le noir et blanc et bleu du Nord, sans le vert de la vie. Parce que dans ce Nord, la vie est une exigence et qu’on en connaît le prix.

Ce « on » c’est d’abord Damien, le chevalier de Doune, je trouve que c’est un beau nom pour un prince charmant. Bravo! Merci ! tu as vraiment réussi à faire passer ce dont je rêvais. Ce « on » c’est aussi celle que ma copine Nokosa appelle « Pitopewin » un mot animé qui signifie l'action d'un feu qui crépite, lance des étincelles, distribue la lumière. C’est aussi la douce Milloraine et tous les autres qui insistaient depuis longtemps.

Ce blog, je vais essayer d’en faire ma petite part dans le grand Chant de la beauté du Monde. Je vais tenter de rendre évident, combien il est beau et combien il est urgent de le sauver de la destruction.

Il me faut dire merci aussi au 236 lecteurs de la première journée, à plus de 100 courriels d’encouragement, je pense que c’est un fichu bon départ.

lundi 15 mai 2006

Apotom dit sa tendresse,

À plusieurs, j’ai déjà conté ma rencontre avec Nutkat ( la danseuse) une baleine mégaptère ( baleine à bosse, Megaptèra navaeangliae, Humpback Whale) qui m’a un peu appris ce que c’est que l’amour, tant sa tendresse, son affection, était grande. J’ai parlé aussi de Nokosa, la fille de Nutkat, avec qui je veux aussi tomber en amour, mais qui pour le moment veut se faire désirer un peu. Dans le chant du Monde, les mégaptères sont responsables de la joie, il faut un peu d’exigence pour découvrir la joie.

Il y a des gens que je connais qui tentent de passer l’hiver en Antarctique, leur bateau amarré dans une petite baie. Ils ont des temps vraiment très difficiles, avec une dizaine de jours de pluie dans le dernier mois. De la pluie dans ce coin-là qui est un des plus secs de la Terre, de la pluie alors que lorsqu’il tombe quelque chose c’est de la neige, si quelqu’un doute encore des changements climatiques…

Mais dans tous ces problèmes, il y a aussi des joies. Une mégaptère est allé leur dire l’amour de ceux de la mer. Je reconnais les jeux, et je sens dans mon cœur, la formidable puissance de l’émotion quand une baleine nous dit qu’elle nous aime.

Je ne sais pas si les mégaptères du Sud parlent la même langue que celles du Nord. Mais celle du Nord appelle ce monsieur Apotom ( le curieux). Ils ont un site et un film qui montre la rencontre : c'est ici

Vraiment extraordinaire…

Des nouvelles du Nord

Bien sur le départ de la glace est un signe évident que le printemps s’en vient dans le Nord. Mais plus sur encore, c’est le retour des capelans. Ha! Les capelans, ces petits poissons d’argent d’une quinzaine de centimètres arrivent par banc de dizaines de millions pour frayer sur les grandes plages du golf Saint-Laurent. Pour améliorer les chances de reproduction, les capelans se jettent sur la plage, deux mâles pour une femelle et dans le temps entre deux vagues réalisent l’acte de vie, féconder les œufs.

Dans le coin de Sept-Îles, sur une cinquantaine de kilomètres et durant les 3 ou 4 nuits autour de la pleine lune de mai, pour les 2 heures de la pleine mer, le capelan roule. Chacune des vagues apporte dans un immense effort, plusieurs tonnes de ces petits poissons prêts à tous les sacrifices pour que la vie ait son sens : continuer.

Bien sûr cette frénésie amoureuse fait vibrer la mer et les baleines répètent le message que les arbres amplifient. Ne vous étonnez pas de vous sentir le cœur léger prêt à toutes les aventures, c’est le chant du Monde qui vous emporte.

Bien sur aussi, la loi de l’équilibre se met en marche. Il faut que la vie soit protégée. Les saumons qui chassaient les harengs près du Groenland, les baleines qui prenaient leurs vacances d’hiver dans les îles du Sud, d’un lointain sud, les oiseaux de partout, tous criant la vie, la vie, la vie, se précipitent au banquet.

4000 mouettes de Bonaparte aux Bergeronnes, 500 Kakawis à Rivière au Tonnerre, 600 Garot d’Islande traversant depuis Anticosti, et puis les baleines, des bleues, des communes, 10 mégaptères dansant avec les vagues, 15 petits rorquals dans un banc compact faisant route à toute vitesse, suivi de deux clans de bélougas, allons, c’est la fête du printemps.

Il faut en faire autant, partageons le pain, partageons nos mains, partageons nos corps, la vie est là.

vendredi 12 mai 2006

Pohénégamouk

Pohénégamouk, mot malécite signifiant : la belle endormie. Il est important de comprendre que la principale division dans les langues alghonkiennes, est entre l’animé et l’inanimé, ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas. Les notions de masculin et de féminin sont réservées aux choses de la sexualité. Pour dire « une fille qui se promène en canot » on utilisera l’animé neutre. Le fait d’utiliser l’animé féminin soulignerait qu’elle est désirable (ou enceinte jusqu’aux yeux). Alors, il ne suffit pas de traduire Pohénégamouk par « la fille qui dort » l’utilisation de « amouk » cherche à souligner l’agréable féminité de celle qui dort.

Google soulignera que ça s’écrit plutôt Pohénégamook, c’est simplement une graphie venue de l’anglais. Il n’y a pas de graphie de l’alghonkien, alors il n’y a pas d’orthographe. D'ailleurs, Google dira que ça s’écrit algonquien. Je lui répondrai de se mêler de ce qui le regarde, et que son usage ne correspond pas à l’usage de ceux de la forêt.

Google vous dira aussi qu’il y a un monstre dans le lac. Ne vous inquiétez pas, c’est simplement moi. La surprise et la crainte des gens de vois un ours polaire nager si loin du Pôle Nord dans le lac. J’essaie de faire attention parce que je ne veux pas effrayer les gens, mais forcément ils me voient de temps en temps.

Cela fait plus de 5000 ans que des gens viennent voir la belle endormie dans la montagne, je ne dois pas être le seul à avoir tenté de l’embrasser pour l’éveiller. Mais dans sa lente vie de montagne, notre agitation ne doit pas vraiment être perceptible. Bon grosse tentative de mettre une photo : espérant que ça marche

jeudi 11 mai 2006

Je veux aller à la pêche

C’est le meilleur temps pour la pêche. Dans le Nord, les divers moustiques sont encore gelés, et les arbres se couvrent de fleurs, la forêt vibre d’amour. D’accord, ce n’est pas l’abondance des fleurs des arbres à fruit, ni la beauté des magnolias. Simplement la brume rouge des érables, les minous des bouleaux et des peupliers qui se laissent deviner plus comme un espoir qu’une réalité, dans le silence des épinettes et des sapins.

J’irai avec mon fils, loin après la route. Il faut prendre un hydravion, pour aller à ce lac que très peu fréquentent, parce qu’il n’y a pas beaucoup de poisson, mais je connais un coin où les truites sont énormes. Après tout, je n’ai besoin que de trois poissons, un pour le dîner, un pour mon fils et un pour moi.

Ce repas sur une petite grève est toujours un des grands moments, il n’y a plus de vent sur le lac, le silence est parfait. Il ne faut pas parler parce que nos gestes simples en disent beaucoup plus que tous les mots du monde. Puis nous nous étonnerons de ce que l’hydravion ne revient pas, et nous construirons un abri pour la nuit. Au moment où le soleil se couche nous entendrons le grondement de la machine, nous préparerons le canot pour l’attacher sous la bête qui vole, il n’aura pas le temps d’attendre. C’est ce que je connais de plus près de la définition du bonheur.

Je veux aller à la pêche avec mon fils.

Chant de la beauté du Monde

J’étudie la balénolinguistique. Oui, oui les différentes langues baleines. Ne le dites pas trop fort, j’ai peur qu’étant fou à ce point-là, on enferme si cela vient aux oreilles des personnes sérieuses.

C’est que les baleines ont longtemps été des animaux terrestres qui sont retournés à la mer, pour faire dans l’eau une énorme chorale, un chant unique, où pourtant toutes et tous jouent une partie spécifique. Ce chant, les arbres l’amplifient, et qu’on le sache ou pas, il nous dit le temps qu’il fait, la continuité des choses, la valeur de l’amour.

Les cachalots ont pour rôle le rythme. Les grandes baleines ( bleues et communes) donnent le souffle, les mégaptères la joie. Les petites baleines et les dauphins traduisent localement le grand message. On peut se servir du chant un peu comme l’Internet. Mais ce ne sont pas des mots et des images qui y circulent, mais des émotions.

J’étudie surtout le mégaptère, c’est plus facile. Pour que le son porte le plus loin possible, les grandes baleines chantent très bas, loin en dessous de la capacité de nos oreilles. Les mégaptères ( baleines à bosses) plus petites (autour de 40 tonnes) chantent plutôt dans notre registre. Elles aiment beaucoup chanter.

Comme les autres baleines, les mégaptères peuvent émettre plusieurs sons en même temps, comme si nous avions plusieurs bouches. La plupart servent à l’écholocation. Savoir et dire où nous sommes et qu’est-ce qui nous entoure. Ensuite il y a le chant pour dire qu’on est bien ensemble, et que le monde est beau.

Voilà un tout petit exemple de la participation de mon amie Nutkat au chant de la beauté du Monde :

mercredi 10 mai 2006

Chronique de la beauté du monde

Nous mourrons. Cela me rappelle dans les années 70, des « experts » ont trouvé une solution pour développer le Nord. On tua les prédateurs de la harde de caribous de la Korsoak. Les Inuit pourraient exploiter le grand troupeau, vendre de la viande dans le Sud et sortir de la supposée misère.

De 15 000 têtes en équilibre, le troupeau explosa et comptait presque 70 000 en 1982. Il n’y avait pas de nourriture pour tous, un virus passa et l’année suivante il restait moins de 2 000 caribous, la survie était loin d’être assurée.

Il y a 7 milliards d’hommes sur terre. Grâce au charbon, en 1900, la population de la terre avait dépassé le milliard et demi, et l’économie du pétrole se mettait en place. En 1950, c’est plus de 2 milliards, maintenant il y en a 7 milliards.

Comme la harde de caribous de la Korsoak, l’effondrement est certain. Quand? je ne sais pas, l’échelle de temps de la vie n’a rien à voir avec celle des hommes. Mais les hommes auront dépensé en moins de 150 ans, la réserve de carbone que la terre avait mis 500 millions d’années à construire.

Pour l’homme comme pour tous les animaux, c’est la disponibilité de la nourriture qui détermine la taille de la population. Ce qui a permis cette croissance rapide c’est en 1950, la révolution verte : l’utilisation massive d’engrais azoté. L’utilisation de ces engrais, c’est une façon de rendre comestible le pétrole.

Le prédateur n’est pas au dessus de sa proie, il en est le serviteur. S’il ne surveille pas étroitement la santé de sa proie, c’est lui qui mourra. Pour maintenir l’équilibre, le prédateur ne doit prendre que ce qu’il y a de trop. La lutte, c’est la lutte pour la vie contre la mort, et cette exigence est mortelle.

Je suis un marcheur de l’espace contre le temps. Je veux dire la terre dans sa beauté, pour que l’équilibre revienne. Le prix à payer sera terrible, mais c’est le prix de la vie.

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