Nouvelles du Nord
vendredi 4 mai 2007, 16:48 General Lien permanent
Il y a le Nord. Il y a le Nord du Nord. Le pays qui dégèle un peu en surface sous l’action du soleil de minuit, mais dont le cœur est de glace. Je ne sais pas ce qui me lit à cet espace plus que pays. Je ne comprends pas vraiment ce qu’il me dit, mais son chant quitte rarement mon oreille.
Q’est-ce qui m’attire là-bas? Ce n’est pas un pays adapté à l’homme. Tout est trop. Trop froid, trop grand, trop lumineux, trop tempétueux, trop exigeant pour qu’il soit possible d’y vivre comme les humains ont appris à vivre. A moins que ce soit le sens même du mot humain qui soit en cause. À moins que ce soit ce qui donne un sens aux choses qui soit en cause.
Pourtant il y vit des gens. Des gens qui, chaque jour pose les gestes d’une vie forcément différente, des gens qui se sont adaptés à ce qui nous semblerait l’inadaptable. Les Inuit vivent dans ce que nous appelons l’extrême pauvreté parce que la terre qu’ils habitent est selon nos critères extrêmement pauvres. Pas d’arbre, pas de légumes qui poussent, très peu de fruits, la mer ou le marais et ses milliards de moustiques affamés pour l’été. Le froid venteux et la nuit pour l’hiver.
Ces héros de l’adaptation se sont même adaptés à nous. Ils sont multilingues, informés et politiques. Mais ils sont restés quand même ce qu’ils sont. Gens de l’extrême, de la solidarité nécessaire, gens de la survivance dans ce monde qui change tellement rapidement. S’il y a des survivants aux changements climatiques, je demeure persuadé que ce sera eux. Ils savent qu’il ne sert à rien d’imposer sa vérité. Il ne sert à rien d’avoir raison contre l’environnement, il faut s’y plier, en gardant en soi l’essentiel : ce qui donne un sens à la vie.
Dans le Sud, nous sommes dépendants de tellement de réseaux. Les routes, les aqueducs, les égouts, l’électricité, les transports pour la nourriture, les usines, pour les vêtements, et je pourrais continuer longtemps à décrire ces dépendances qui nous font prétendre que nous sommes libre. Combien de jours survivraient une ville comme Paris, Montréal, New York si la distribution alimentaire cessait? Combien de jours avant que les habitants de ces villes ne s’égorgent pour manger l’essentiel de l’autre? Aurions-nous le temps d’apprendre que la solidarité est nécessaire à la vie?
Là –bas, les gens du Sud ont construit des maisons avec des bains, mais il n’y a pas d’eau courante. Alors les bains servent à garer le poisson. Là-bas, il y a un frigo pour tout le village et c’est la responsabilité de tous qu’il y ait à manger pour tous. Là-bas on sait qu’on est important parce qu’on est important pour les autres. Là-bas, je suis essentiel pour l’autre parce que l’autre est essentiel à ma survie.
Dans ce monde noir et blanc de l’exigence, dans ce Nord du Nord, je ne sais pas ce que j’y trouve, mais je sais que c’est essentiel.
Commentaires
J'ai vu le Nord, je l'aime profondément. J'ai vu les Inuit, je les ai côtoyés, et même très haut dans le Nord. Nous avons échangé dans les communautés, bavardé sur la banquise, parlé d'ours et d'ombles chevaliers au beau milieu de nulle part et par -30°c. J'ai un immense respect pour eux et pour ce qu'ils transportent, un savoir empirique de la nature qu'on ne peut comparer à aucun savoir scientifique. Leur savoir empirique et notre savoir scientifique n'ont pas le même but, mais ils sont complémentaires.
Toutefois je n'ai pas vu beaucoup de différences entre le Nord et le Sud. Enfin, entre la zone arctique et la zone tempérée, devrait-on dire. En proportion, autant de skidoos et de pick-ups, autant de télévisions et de sacs en plastique. Et peut-être davantage de bouffe indigeste de fast-food, de papiers gras, de sodas et d'hydrates de carbone en tous genre. As-tu vu les enfants des communautés du Nord ? Ils ont les dents pourries par le sucre. Quant au taux d'obésité...
Malgré toute l'humanité des Inuit (tiens, un pléonasme), je ressens un malaise dans le Nord : une immense artificialisation des modes de vie, et l'apport de tous les mauvais produits de notre monde industrialisé.
Ils ont droit à notre "confort", comme tous les peuples qui vivent dans un environnement difficile. Nous n'avons pas le droit de les en priver. Mais il existe une différence fondamentale entre eux et nous : nous avons justement un savoir scientifique et une histoire qui nous permettent de prendre du recul sur notre mode de vie, sur notre facon de consommer, sur nos divertissements, sur notre alimentation. Dans le Nord, ils n'ont malheureusement pas ce recul.
A nous de ne pas nous faire bluffer par la beauté du Nord et de passer à côté de choses fondamentales. A eux de ne pas se faire bluffer par nos productions industrielles, empoisonnantes et polluantes à bas prix.
A nous tous d'échanger, plutôt que de se regarder.
Interessant JB
Un ami me disait "L'homme est un génie paresseux". Je crois que l'homme, et l'humanité en général, est capable de s'adapter à tout, aux environements les plus extrêmes, aux sociétés les plus capitalistes, aux défis les plus improbables et que, chaque fois, on peut y trouver du beau et du laid, de la sagesse et de la bêtisse. Par contre, pour une raison qui ne s'explique pas, ou du moins que je ne m'explique pas, chacun appartient à un coin de cette terre. Certains le savent et ont rencontré ce lieu qui pour eux n'est à nul autre pareil, d'autres pas encore. Pour moi, c'est le Sud de la France... pourquoi, comment, je ne sais pas. Je peux juste constater que mon être intérieur vibre à ces couleurs, à ces odeurs, là-bas et pas ailleurs. Je vis actuellement dans le sud de l'Espagne et tout le monde me dit "Mais enfin, c'est pareil, c'est la Méditerranée, le sud....." et pourtant non, c'est magnifique, je m'y plait et j'aprécie la chance que j'ai, mais dans le fond de mon coeur, je sais bien que la terre à laquelle j'appartiens, c'est là-bas....et je trouve toujours des tas de bonnes raisons pour y retourner
Alors j'aime t'entendre me parler de cette Terre mystérieuse qui est la tienne et j'essaie de t'envoyer la lumière et la chaleur qui est la mienne...
Bien intéressant de vous lire tous. La richesse des commentaires va dans le sens de ce que souhaite JB, soit l'échange, et ça me semble bien encourageant par les temps qui courent
Effectivement ces commentaires sont d'une richesse exceptionnelle. Je vais prendre le temps d'y répondre sérieusement dès que je suis à la maison. J'ai de la difficulté à penser en avion, mais je peux dormir alors je vais en profiter. A bientôt.
Nab ,ce lieu à nul autre pareil ... J'aime bien ta phrase (elle résonnne d'autant mieux pour qu'elle s'allie aux mots "sud de la france "pour moi qui suis expatriée dans le sud francilien!) mais oui certains lieux font que par eux nous existons plus intensément .On peut vivre heureux ailleurs parceque l'on sait que quelque part dans l'univer il y a notre centre du monde.
Les dangers de notre civilisation existent partout même si nous en prenons conscience .Ils touchent forcément les plus pauvres qui ont soif de vivre comme les plus riches. On n'est pas seulement pauvre de manque d'argent mais parfois simplement d'estime de soi. Or dire aux enfants Inuits qu'ils sont riches d'avoir un pays dur mais beau, une civilisation belle de sa capacité à être solidaire c'est leur donner confiance en eux et peutêtre leur permettre d'être plus fort contre les tentations des pays du sud
je crois que Moukmouk a raison de chanter cet "essentiel" pour leur rappeler que l'image que nous avons d'eux peut être belle . puis leur dire aussi qu'actuellement nous prenons du recul sur notre façon de consommer , de vivre et que nous avons peut -être à prendre des leçons sur leur mode de vie ancestral.
Je viens de parcourir quelques pages, dépaysement complet, depuis toujours attirée pas ces froides contrée, je reviendrais.
Aujourd'hui, j'aimerais être dans ce Nord dépouillé et oublier ce qui nous attend en France. J'aimerais retrouver chez les Inuit la quintessence de l'humanité et la savourer. Juste pour quelques heures.