Retour du Nord
dimanche 6 mai 2007, 16:01 General Lien permanent
Il me faut revenir sur le très bon commentaire de JB sur le dernier billet. Il pose des questions très vrais et mérite mes réponses. Ce sont mes réponses et il y en a sans d'autre sans doute. Et ce n'est pas « parce que ». Tenter de trouver des réponses dans les chaines causales ne mènerait à rien, il s'agit de dresser un portrait, tenter de montrer le contexte: une fois encore on a pas besoin de coupables mais de solutions.
Le portrait que dresse JB est exacte. Des carcasses de motos-neiges partout, des enfants obèses, rien pour éliminer la première production de la société post-moderne: les déchets. Je pense qu'il est nécessaire de faire l'historique des cinquante dernières années dans le Nord.
Il y a eu 3 grandes tentatives de génocide des Inuit. D'abord les regrouper en village. Un chasseur dans un territoire aussi pauvre a besoin d'un très grand territoire pour survivre en protégeant l'équilibre du milieu. L'inuk est un prédateur parmi les autres dans le Nord, et il n'est pas le plus fort. Mais comment donner des services de santé et des écoles à ces gens si on ne les regroupe pas? Et pour être sûr que les clans ne quittent pas les villages, la police fédérale du Canada tentera de tuer tous les chiens. Ils n'ont réussi qu'à tuer le sens de la vie des nomades chasseurs du Nord.
Ensuite les prêtres et l'enseignement. Les croyances et pratiques des Inuit étaient celles d'un monde extrême où la peur domine. Ce sont des gens de l'age de pierre. La mission de les faire se comporter comme des humains civilisés, de rêver d'être riches, et de tout détruire le monde autour d'eux sous prétexte qu'ils dominent le monde et que tout doit se plier à la volonté de l'homme.
Une fois le travail des prêtres accomplis, le lien de tradition de survie par la chasse pratiquement disparue, on doit bien leur fournir des aliments du Sud. Ceux qui sont bien sucrés et bien salés. Si bien qu'il y a au Nord une épidémie de diabète plus forte que partout ailleurs dans le monde. Il y a même des enfants Inuits obèses... absurde.
Ce que je veux célébrer c'est leur capacité de s'adapter même à nous. Ils ont réussi à survivre malgré nos tentatives de génocide. Ils sont en train de se réinventer un monde d'existence, et j'espère qu'ils réussiront avant que la glace ne disparaisse.
Il serait absurde aussi de dire que les blancs ont torts. Les blancs ont agi pour le mieux comme les blancs pensent que c'est le mieux. Il s'avère que ce mieux est un poison mortel pour ceux du Nord. Ils sont en train d'apprendre à le digérer en restant ce qu'ils sont. Comme ils sont les champions de l'adaptation, j'ai espoir qu'ils réussissent.
Commentaires
(c'est sarko qui a eu 53%. Dur, dur)
@ JB - Coucou JB, je relisais ton commentaire sur le billet précédent. Je me pose des questions, surtout à partir de ce supposé que nous, savants occidentaux, avons en matière de consommation un recul et un savoir que les Inuits n’ont pas, manque qui les amène à se laisser bluffer par nos richesses.
Je me disais que d’une part nous ne détenons pas la vérité (est-ce que malgré toute notre culture de nantis avertis, nous ne nous laissons pas bluffer par les sirènes de la consommation, la course effrénée à la possession ?).
Et que d’autre part comme le retrace Moukmouk, c’est nous-mêmes qui avons créé cette situation, balancé nos produits et supprimé une grande part de ce qui faisait l’identité des Inuits, leurs repères, et leur aurait sans doute permis d'intégrer plus harmonieusement ces apports.
Alors échanger, oui, mais comment ? Comment échanger sans se poser en donneurs de leçons ?
J’espère bien que nous pourrons poursuivre la conversation.
Je me demande au bout du compte si ce ne sont pas ces peuples justement qui arriveront à survivre au pire, parce que comme tu le dis, ils aprennent "à digérer"... je leur souhaite de pouvoir vivre et pas uniquement survivre, un jour, le plus tôt possible.
Tout de monde se doit de survivre, eux, nous et les autres. Tout le monde a des leçons à donner à tout le monde. Eux, ça marchait plutôt bien, on aurai dû leur fiche la paix. Maintenant si on leur fiche la paix, ils se sentiraient abandonnés ? (ou pas ?)
Moukmouk, merci pour tes réponses et remarques pertinentes, ici et chez moi. On est sur la même longueur d'ondes.
Meerkat, bien d'accord avec toi aussi. On est loin de détenir la vérité (tiens, en passant, n'en existe-t-il qu'une seule ??), et notre responsabilité de "Southerners" est bien engagée, évidemment. Je ne peux toutefois pas répondre à tes questions : je n'ai pas le recul (encore lui !) suffisant sur la question.
Après mon expédition, j'ai passé quelques jours à me balader entre les courses de motoneiges sur la banquise (ça me donne une idée de billet sur mon blog, ça) et les salons des familles Inuit. 72 chaînes arrivent à la télévision, des familles entières s'en gavent toute la journée. Devant la roue de la fortune, vers 19h, petits enfants et grands parents se goinfrent de mauvaises céréales colorées et de liquides sucrés au bon goût de fruits de bois. Chacun rêve de gagner 6500 dollars et une belle décapotable, comme l'hystérique mal coiffé qu'ils ont devant les yeux. A moins que ce qui ne fasse rêver, ce soit la chance suprême de faire un "hug" au présentateur, tout en sautant sur place aussi bêtement que quelqu'un qui se serait assis sur une punaise, devant des millions de téléspectateurs envieux. Waouh.
Alors comment échanger ? Par personnes interposées, peut être, puisque nous n'avons le pouvoir que de cette manière. Supplier ceux qui ont ce pouvoir de remplacer les jeux d'argent débiles, les séries pourries, les quizz à 2 cents, les reality shows et la violence par des messages du genre "arrêtez de penser fast food et Floride en cabriolet, ça vous fait grossir et pire, vous perdez chaque jour un peu plus votre identité et votre culture". Supplier les élus de telle communauté de se battre pour empêcher que le seul restaurant de la communauté ne vende que des aliments malsains, reconstitués, trop gras et trop sucrés, dans des boites en plastique qui feront encore davantage de déchets. Supplier les hautes sphères de l'Etat pour qu'ils emmènent, par bateau, des containers de tri sélectif. Autant qu'il en faut pour rapporter métaux, matières plastiques, fibres diverses à l'endroit d'où ils viennent. Et qu'ils les rapportent ensuite d'où ils viennent, pour leur retraitement facile et efficace (on éviterait ainsi d'attirer les ours vers les décharges -question de sécurité, au moins-, mais surtout de polluer l'atmosphère et les fjords par des dépôts fumants et dégoulinants). Qu'on ne me dise pas que c'est impossible, les méthodes de compactage (pour éviter les gros volumes après un hiver long) sont éprouvées et le transport par bateau aisé. Le plus dur est de motiver une volonté politique sur la question. N'oublions pas qu'aucun écosystème ne peut supporter l'apport important de matières qu'il n'est pas lui-même capable de produire. Et puis tiens, les pétroliers qui emprunteront bientôt le passage du Nord Ouest, qui n'est quasiment plus pris par les glaces en été, n'auront qu'à se charger de la collecte de ces déchets !