Nommer et définir
mercredi 20 juin 2007, 16:43 General Lien permanent
C'est définitif. J'ai arrêté la chose aux mots qui la compose. Je nomme donc je domine. Pour cela je mets une forme à la chose, je lui impose des frontières et à l'intérieur je remplis la chose de mots jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus bouger.
Mais la continuité du monde, se moque bien des frontières que je tente d'imposer. On dit un homme, et la frontière de la chose est sa peau. Comme si les odeurs de cette homme ne s'étendait pas loin au delà de sa peau, comme si ses mots, ses sentiments, son regard n'était pas la continuité de ce qu'il y a en dedans. Et puis son amour qui agit sur l'autre et qui fait que l'autre est aussi lui en partie.
Et qui serait cet homme sans les liens qu'il a avec son amour et tous les autres? A chaque fois qu'une rame de métro avale une ration d'humain, il y a des dizaines de fantasmes qui naissent, et font des liens entre tous ces gens. Je vois ces liens, et l'évidence que sa peau ne réussit pas à contenir ce qu'est un humain.
Exemple: il fait si beau. Lucie a mis une robe lègère qui lui va si bien. Lucie est amoureuse, et va rejoindre son amant sur cette terrasse... La joie qui sort de Lucie est évidente, les gens sur la rue ressente le bonheur de Lucie et se disent : ha! Il fait beau. Son amant la devine dans la foule, et la tension des liens augmentent, ce qu'on aurait plus définir comme des gens sur la rue, sont maintenant un groupe...
Bon dans nos villes, il y a beaucoup trop de Lucie amoureuse, de Rachelle qui pleure, de Pierre perdu, de Jean joyeux, si je me laisse aller à la ville, je ne serai plus moi, je ne me trouverai plus. Comme si ce « moi » avait une existence en dehors de ces liens.
Je dis souvent que les humains ont tellement vécu longtemps en clans, que le mal de notre monde est de ne plus pouvoir le retrouver. Dans un clan, le réseau de ces liens est connu et rassurant, dans une ville il y a tellement tout le temps de liens nouveaux que je dois m'enfermer dans ma peau, me boucher les oreilles, m'empêcher de sentir, sinon, j'aurai l'impression d'être si distendu, de couvrir une si grande surface, que je n'aurais plus de substance. Mais en m'enfermant en moi, j'implose, je m'effondre en un petit point parce que je n'ai plus de support. Alors il faut que j'affirme haut et fort que j'existe et dehors de mes liens. C'est ridicule, je me coupe ainsi de l'essentiel de moi-même.
Il y a un équilibre à trouver, entre l'explosion et l'implosion, et c'est avec d'autres que je le construis. J'espère que ça répond à la question.
Bizarre l'écriture des blogs. Je voulais écrire un truc sur l'origine du mot: Algonquin. Il faudra que je me reprenne demain, parce mes doigts sont allés dans une autre direction.
Commentaires
Et finalement tu pars bientôt ?
chut! je ne peux pas le dire, ON lit mon blog parfois. "On" étant tu t'en doutes un gros méchant.
Quel texte magnifique, Moukmouk !
Merci beaucoup, au nombre de commentaires, je pensais être incompréhensible comme souvent.
En ville, j'ai l'impression de n'être rien, on croise des gens qu'on ne reverra jamais, dont on ne se souviendra plus du visage 3 secondes après les avoir vus. Je ne suis même pas sûre de réussir à voir le bonheur de Lucie dans cette foule.
J'aime bien l'idée du clan. Mais les "clans" se sont perdus, ou alors il faut habiter dans un tout petit village. Plus petit que le mien en tout cas...
C'est précisément cela que je cherche à dire. Mais il ne faut pas totalement mettre la faute sur le dos de la ville, nous avons peut-être les antennes passablement encrassées... le "je" romantique du XIX siècle voulait couper les liens entre moi et le monde. Il a réussi je pense.
J'ai entendu ou lu une phrase il y a longtemps et dont je ne connais plus les termes exacts, mais la voici en substance. Je pense qu'elle peut venir à la suite de ton beau billet, Moukmouk.

"Il n'y a pas de hasard. Les regards que tu portes sur les êtres, les rencontres que tu fais, sont le fruit de ton choix (...)". Et c'est vrai, pourquoi regardons-nous certaines personnes lorsque nous nous baladons en ville ? Et pourquoi ne voyons-nous pas les autres ? Cela s'applique aussi aux choses. Je crois que chacun de nous est un monde en soi et que nous projetons une partie de nous-même à chaque regard que nous posons sur ce qui nous entoure, même si ce regard exprime un rejet.
En ce qui concerne les clans, je crois qu'ils n'ont pas disparu. Ils se sont transformés, c'est tout, mais ils structurent toujours notre société. Les membres du clan sont les personnes dont le nom et le numéro de téléphone figurent dans nos agendas. On voit aussi les villes se structurer en quartiers, avec les comités de riverains, etc. Les collègues sont aussi les éléments d'un clan. Il y a des tas d'exemples de ce type.
Oui, bon, j'arrive après la bataille
Heureusement que je ne suis pas passée à côté de ce billet... bien que la plupart me touchent toujours.. celui ci m'atteind plus particulièrement. Et qu'est ce qu'il est bien écrit.... tes mots sont jolis, ils chantent la joie de vivre, les phrases dansent sous mes yeux comme pour fêter la vérité des propos tenus.
Mais je voulais juste ajuter une idée qui me vient alors... une suite à cette superbe histoire. C'est tellement vrai ce que tu dit là, qu'il arrive aussi, qu'à l'inverse, quand on se sent pas très bien avec soi même, que la ville ai le pouvoir de nous laisser vivre sans même avoir besoin d'être "en soi". La possibilité de laisser son corps vaquer aux occupations tout en laissant "l'esprit" ailleurs, en dehors, loin de sa peau... sans que personne ne s'en apperçoive. A la campagne, ou dans un clan.. le contact avec les autres oblige à être d'abord bien avec nous même..
C'est pas très clair ce que je raconte là.. je veux dire que quand on est "déjà mal dans sa peau" on peut se sentir bien dans l'anonymat de la ville, mais que ce semblant de "bien être" dénote déjà un malaise, un manque profond du clan.. c'est le serpent qui se mord la queue.
Natilin--) la question que tu soulèves est très importante et marque LA différence. Effectivement le groupe ne nous laissera pas être mal. On pourra être différent, mais si on est mal, on fera tout (et même trop) pour aider. A tel point que ce support devient souvent aliénant, qu'il est bien difficile de se trouver une place dans ce réseau dense de support. Et puis il y a des groupes qui sont plus habiles que d'autres. Je ne tente pas de dire que l'autre monde de vie est parfait, je tente de montrer qu'il y d'autres réalités possibles.
Jo--) j'aimerais croire (et j'ai tendance à croire) que tu as raison. Il me reste le problème de la présence physique qui est si nécessaire dans le clan.