Un lieu de non-pensée
lundi 3 mars 2008, 21:19 General Lien permanent
Autant la pensée postmoderne me rebute, autant les modernes me fascinent. La façon élégante de noyer le poisson, la réponse rationnelle au non-sens, les fils de Descartes ont des solutions. Parfois ça fait mal à ceux qui ne partagent leurs culture.
Avant les modernes, la morale venait de dieu et du roi qui vient de dieu, et si tu n'es pas d'accord on te trucide dans des douleurs atroces et voilà le travail. Le protestantisme a introduit la notion de « je » c'est-à-dire la capacité de comprendre par soi-même la pensée de dieu et d'en tirer pour soi les conclusions. Descartes fera le pas important: « je pense donc je suis » je n'ai plus besoin de dieu, je peux trouver en moi, par la raison, et résoudre les problèmes moraux que le monde me pose.
Les successeurs de Descartes écriront des milliers de pages sur cette idée, et la démarche de l'encyclopédie, visent oui, à faire l'état des connaissances, mais aussi à assurer un fondement à la nouvelle morale. On a toujours su cependant qu'il y a une limite, et beaucoup plus proche qu'on pense, où la science ne répond pas encore ( et peut-être jamais) et qu'il faut décider pour soi de ce qui est le bien et le mal.
Alors, il faut revenir à soi, et chercher en soi la réponse, et comme il n'y a pas encore de rationnel pour la justifier, il y a donc un lieu de non-pensée dans ce « je » qui justifie nos actions. Ce lieu, on le nomme maintenant «culture». Est-ce que ce mot culture correspond à celui de La Bruyère en 1691, ou à l'idée de Kant tel qu'il apparaît dans la traduction de 1796? je ne sais pas. Mais cette culture est très certainement celle des Européens.
Les maitres Zen, ont aussi un lieu de non-pensée qui devient un siège pour l'action, mais il ne faut pas confondre, il m'apparait que les définitions sont trop loin l'une de l'autre pour qu'on puisse faire un rapprochement.
Le choc de la confrontation avec une autre culture, celle des amérindiens, consistera à leur nier le droit d'avoir une culture, de les appeler « Naturel ». Pratique pour les gens de pouvoir qui auront vite fait de déclarer que les Naturels n'ont pas d'âme, et donc qu'on peut les prendre en esclavage et les tuer sans que cela pose de problèmes moraux. Et drôle de retour où une notion justement construite pour ne plus utiliser la notion de dieu et d'âme devient l'outils permettant l'extermination.
Et le beau grand débat: est-ce que l'homme est bon... et le Naturel serait par essence bon qui donnera naissance à toute une vague de littérature (heureusement disparue ou presque) qui présentait le sauvage comme ne pouvant avoir les conflits moraux de l'homme qui a de la Culture. J'entends encore des racistes justifier les crimes et génocides qui se voient en Afrique en prétendant que c'est dû à leurs cultures, comme s'il ne pouvait y avoir là aussi des criminels, comme partout.
Alors quand on me propose des aliments ou des produits dits « Naturel » je me méfie. Ils sont bons puisqu'ils n'ont pas connu le mal de la civilisation et de la culture. Ou parce qu'ils n'ont pas connu le mal de la civilisation et de la culture, leurs pourritures sont nécessairement bonnes. Remarquez que tout ceci n'est certainement pas une approbation de l'agrobuisness et de toutes les cochoncetés qu'on met sur les fruits et légumes pour qu'ils aient l'air Naturel et sans tache.
Commentaires
Pour ma part je considère que des cultures peuvent être soit fortement enracinées dans la nature, ses cycles, sa présence, ses mystères et la présence des hommes au sein d'elle, ou bien certaines cultures peuvent être fortement enracinées dans les fabrications et les traditions humaines plus éloignées de la nature, plus proches des institutions et des traditions créées par les hommes. Je suis bien d'accord avec toi. Croire que les unes valent mieux que les autres ou qu'elles sont plus proche de la vérité ou qu'elles expliquent mieux le monde, est une absence (ou un refus conscient ?) de pensée.
Cependant je pense qu'en matière d'horti - culture, il vaut mieux opter, autant que possible, pour le « naturel » plutôt que pour l'artificiel. Car on a beau tenter d'imiter la nature, de la copier, on n'y arrive pas vraiment et on produit souvent des monstres.
Moukmouk, c'est encore plus difficile que je croyais, telle que tu exprimes la question. Je dirai pour faire vite vu l'heure tardive, qu'en effet je me méfie du Naturel, et je ne considère pas la Nature comme une amie mais comme une ennemie. Une belle ennemie, indomptable et qu'il faut respecter comme tout ennemi plus fort que soi, mais une ennemie. Je vais m'en faire beaucoup, encore cette fois, d'ennemis. Mais je maintiens.
Il y a tant de contresens possibles dans mon affirmation.
Je me perds parfois dans la contemplation de ma belle ennemie.
La culture, la mienne, est une ruse pour l'apprivoiser un instant, et les cultures que j'ignore sont autant d'autres ruses, d'autres modes de fréquentation de la belle. Je n'aime pas voir les autres fréquenter ma belle, mais je sais qu'ils sont comme moi, accrochés à son sein. Méfiants mais avides, affamés et retors.
Parfois le téton tue.
Cette idée de devenir "je", être pensant et ayant droit de penser est véritablement un acquis de l'humanisme en Europe. Il doit beaucoup à cette merveilleuse invention de l'imprimerie qui a facilité la diffusion des idées et surtout la fin de la main mise de l'église sur le savoir.
Et pourtant, c'est en même temps l'époque la plus noire de l'europe conquérante et méprisante. Quand on pense qu'il a fallu un procès pour parler de l'âme des indiens (la controverse de vallaoïd).
fr.wikipedia.org/wiki/Con...
Et aujourd'hui en France ces pensées qui ressurgissent (il n'y a qu'à voir le discours de notre président en Afrique, une honte, la vraie...) et qui gagnent en légitimité... Plus que bien et mal, inné ou acquis, c'est la tolérance pour laquelle il est important de se battre, le refus de l'individualisme forcené et de l'indifférence.
Enfin...c'est le cri du coeur d'une française qui a honte de ceux qui la gouvernent plus qu'une réflexion philosophique comme tu sais si bien nous proposer...
Lorsque l’empereur de Chine pose la question à Bodhidharma : Qui es-tu ? L’histoire relate que ce dernier lui répondit qu’il ne le savait pas...
Le Je occidental et le Je oriental, pour ce que j'en comprends aujourd'hui sont bien différents dans l'ordre du monde. Sans doute les frontières s'effacent-elles quand on touche à la spiritualité, mais ce n'est pas ton propos. Ce que tu dénonces, et qui existe au quotidien sous forme de discrimination, c'est la manifestation de l'intolérance à la différence. L'autre dans sa différence m'apparait menaçant si je ne suis pas solide. Alors je préfère détruire plutôt que me laisser toucher et ébranler, plutôt qu'apprendre ma leçon du jour. Ton ennemi est ton meilleur professeur disent les Orientaux dans ce contexte. C'est la dynamique de l'ombre de Jung que tu évoques parfois. Je projette sur l'autre la part de moi que je n'ai pas encore humanisée...
C'est carrément un devoir de philo que tu nous proposes . Qui détient la vérité ? L'homme n'est pas bon mais on pourrait espérer qu'il le devienne avec le temps . Comment se retrouver dans ce trop plein de tout et ce trop vide de désir de vouloir faire le bien de l'autre contre son gré ..... Jusqu'où es- tu capable d'aller pour retourner au naturel Moukmouk ? moi c'est certain pas trop loin .
Marianne--) J'ai tenté de montrer que le mot "Naturel" était très dangereux. Je refuse qu'il y ait une différence entre les humains et les autres animaux, et que nous ne soyons pas lié au vivant. Pour montrer la même division se pose entre héréditaire donc "naturel" et culturel... Le mensonge est le même.
Saveur--) ce billet vient entre autre d'une relecture du bouquin de Charles Taylor : Source of the Self: The Making of the Modern Identity une très grande oeuvre, dont je suis très loin d'avoir fait le tour. "je" est pour moi sans aucun doute une réalité très lieu à la culture de son groupe: ce qui me fait dire : Nous pensons donc je peux être.
Dom--) Un acquis certainement, une définition qui a permis à L'Europe de dominer le monde par la force. Ce qui pour l'Européen est certainement un bien. Est-ce que l'humanisme européen est violent et conquérant? je ne sais pas.
Andrem--) Tu définis très bien ce qu'est le "Naturel" pour la culture européenne, une ennemie, puisqu'elle n'en fait pas partie.
Marc--) Ne pas oublier que al patate et la tomate sont issues de la même plante séparée par les Nahuatl. Il y a des méthodes qui favorisent la vie et d'autres qui la détruisent. Mais je me méfie d'un bon Naturel contre un mauvais artificiel, ou mauvais culturel...
Ah? Tout le monde est d'accord pour dire que l'homme n'est pas bon?
Est-ce qu'il est comme le rat: Au sein d'un groupe de 6 rats places ensembles dans une cage, il y a toujours 2 dominants, 2 domines, 2 independants?
J'ai toute lhistoire contre moi mais je dis que non. Qu'il n'y a pas de mechants et de dominateurs. Il n'y a que des personnes blessees. On domine pour exister, pour faire aux autres ce qu'on a subi et ainsi exorciser cette souffrance (C'est comme les enfants battus qui battent a leur tour leurs enfants), on domine pour echapper a sa souffrance. On est megalo parce qu'on a besoin de reconnaissance, et que sans ca, on se deteste.
Et pour dominer on peut utiliser n'importe quoi, de la religion a la politique, du catholiscisme au communisme, qui sont tous les deux de magnifiques idees de partage, et finissent par etre utilises pour envoyer des millions de gens a la mort, justifier l'extermination de population entieres.
L'homme est bon, le systeme communiste est bon, meme la religion est bonne, je vis dans le monde des bisounours et j'assume, moi.
Déjà, pour travaux pratiques sur la question, ne pas oublier qu'il n'existe ni pensée occidentale ni pensée orientale.
Il y a des Orients et des Occidents, et certains d'entre eux d'ailleurs se mélangent, et dans chacun d'entre eux il existe des pensées diverses et antagonistes parfois. A nous de puiser ici et là ce qui nous permet de dénouer nos emmêlements.
Alors la question du naturel, dont on sait qu'elle revient au galop, forcément, chacun la regarde avec sa lorgnette. Même si nous finissons un jour par mettre le feu à la planète, par l'empoisonner, et par nous jeter nous mêmes dans ce néant, la Terre imperturbable continuera à tourner autour du soleil avec tout le naturel qui convient pendant cinq milliards d'années, plus ou moins dix minutes comme d'hab.
Ce n'est pas la planète qu'il faut sauver, mais l'homme qui vit dessus. Ce ne sont pas les espèces multiples qui vivent sur la planète qu'il faut sauver, mais l'homme qui survit grâce à elles. Ce n'est pas l'air qu'il faut protéger de la pollution mais nos poumons qui avalent cet air.
Et si nous décidons que l'homme est un méchant qui mérite de disparaître, alors nous devenons complices des pollueurs, des recracheurs, des gaziers à effet de serre, et de toutes ces choses incorrectes et dénonçables.
Pour moi, quelque soit le sens, la "culture" fait toujours référence à "cultiver".. comme pour une plante, la culture d'un homme est liée à la façon dont il a été élevé, avec plus ou moins d'eau, plus ou moins d'engrais, plus ou moins d'influence extérieure, plus ou moins d'influence de la nature..
Un peuple, une culture, une nature.
Du coup, ce qui est naturel pour l'un ne l'est pas (forcément) pour l'autre.
L'Homme bon ? L'homme pas bon? Et le libre arbitre?...Cadeau? Pas Cadeau?
Avec La Mediatisation a outrance ,on nous parle plus des horreurs de ce Monde Que Des belles Experiences qui l'habite encore!!
Alors Franchement ,au risque de passer pour une Utopiste!(ce que je prend comme un compliment!) Vive la vie et le libre arbitre!!!!!!!!La Nature sauvegarde en son sein encore des tresors ..a nous de les preserver en CONSCIENCE!!!!!!!!
Et ceci avec toutes nos differences! Sans doute est cela la vraie definition du Racisme: Accepter l'autre dans sa difference!!!!!!!