Un lieu de non-pensée

Autant la pensée postmoderne me rebute, autant les modernes me fascinent. La façon élégante de noyer le poisson, la réponse rationnelle au non-sens, les fils de Descartes ont des solutions. Parfois ça fait mal à ceux qui ne partagent leurs culture.

Avant les modernes, la morale venait de dieu et du roi qui vient de dieu, et si tu n'es pas d'accord on te trucide dans des douleurs atroces et voilà le travail. Le protestantisme a introduit la notion de « je » c'est-à-dire la capacité de comprendre par soi-même la pensée de dieu et d'en tirer pour soi les conclusions. Descartes fera le pas important: « je pense donc je suis » je n'ai plus besoin de dieu, je peux trouver en moi, par la raison, et résoudre les problèmes moraux que le monde me pose.

Les successeurs de Descartes écriront des milliers de pages sur cette idée, et la démarche de l'encyclopédie, visent oui, à faire l'état des connaissances, mais aussi à assurer un fondement à la nouvelle morale. On a toujours su cependant qu'il y a une limite, et beaucoup plus proche qu'on pense, où la science ne répond pas encore ( et peut-être jamais) et qu'il faut décider pour soi de ce qui est le bien et le mal.

Alors, il faut revenir à soi, et chercher en soi la réponse, et comme il n'y a pas encore de rationnel pour la justifier, il y a donc un lieu de non-pensée dans ce « je » qui justifie nos actions. Ce lieu, on le nomme maintenant «culture». Est-ce que ce mot culture correspond à celui de La Bruyère en 1691, ou à l'idée de Kant tel qu'il apparaît dans la traduction de 1796? je ne sais pas. Mais cette culture est très certainement celle des Européens.

Les maitres Zen, ont aussi un lieu de non-pensée qui devient un siège pour l'action, mais il ne faut pas confondre, il m'apparait que les définitions sont trop loin l'une de l'autre pour qu'on puisse faire un rapprochement.

Le choc de la confrontation avec une autre culture, celle des amérindiens, consistera à leur nier le droit d'avoir une culture, de les appeler « Naturel ». Pratique pour les gens de pouvoir qui auront vite fait de déclarer que les Naturels n'ont pas d'âme, et donc qu'on peut les prendre en esclavage et les tuer sans que cela pose de problèmes moraux. Et drôle de retour où une notion justement construite pour ne plus utiliser la notion de dieu et d'âme devient l'outils permettant l'extermination.

Et le beau grand débat: est-ce que l'homme est bon... et le Naturel serait par essence bon qui donnera naissance à toute une vague de littérature (heureusement disparue ou presque) qui présentait le sauvage comme ne pouvant avoir les conflits moraux de l'homme qui a de la Culture. J'entends encore des racistes justifier les crimes et génocides qui se voient en Afrique en prétendant que c'est dû à leurs cultures, comme s'il ne pouvait y avoir là aussi des criminels, comme partout.

Alors quand on me propose des aliments ou des produits dits « Naturel » je me méfie. Ils sont bons puisqu'ils n'ont pas connu le mal de la civilisation et de la culture. Ou parce qu'ils n'ont pas connu le mal de la civilisation et de la culture, leurs pourritures sont nécessairement bonnes. Remarquez que tout ceci n'est certainement pas une approbation de l'agrobuisness et de toutes les cochoncetés qu'on met sur les fruits et légumes pour qu'ils aient l'air Naturel et sans tache.