Vente de garage

Les villes ont des habitudes, des petites manies. On pourrait s'en offusquer, ou on peut les accepter comme on accepte tout des gens qu'on aime.

Parmi les petites manies de Montréal, il y a la vente de garage. Non, c'est une ville d'auto et de moteur, mais il n'y a pas tant de garage à vendre. C'est la traduction directe de « garage sale » qu'en France on appelle vide-grenier, et qui sert généralement à se débarrasser des horreurs qui encombrent nos intérieurs depuis trop longtemps. La ridicule tentative d'imposer vente-débarras par L'Office de la langue Française du Québec, ne mérite même pas qu'on n'en parle.

Il n'y a pas beaucoup de moment pour organiser la vente de garage. D'abord, il y a l'hiver, et après les Montréalais vont au chalet, enfin ailleurs dans la forêt, enfin ce qu'il reste de forêts dans les coins où les urbains s'entassent, parce que, je crois, la solitude leur rappellerait trop leurs condition d'animal, l'état de proie où il faut être en groupe pour se protéger. Le chasseur peut accepter la solitude, parce qu'il accepte que la mort fasse partie de la vie.

Donc la vente de garage se passe surtout l'avant-dernière fin de semaine de juin. La dernière on la consacre à déménager ou aider des amis à déménager, parce qu'autre manie de Montréal, on déménage le 1 juillet... c'est la fête du Canada et il n'y a rien à fêter de cette oppression qu'on nomme pays.

La vente de garage est sauvage. Elle a lieu sur le trottoir, sur tous les trottoirs. On sort quelques vieilleries et les chaises longues et voilà. Il y a des tas de règlements municipaux qui ont essayé sans succès d'organiser la chose, mais c'est comme de tenter d'enlever les doigts dans le nez d'un enfant dès qu'on pense à autre chose, ça remonte comme une fatalité.

J'ai marché dans Montréal en essayant de trouver une rue sans... impossible, même la grande chaleur et le gros soleil n'empêchent pas les urbains de se livrer à cette luxure. C'est une manie des temps chauds, et il n'y a que l'orage de fin d'après-midi qui peut calmer cette agitation très lente où on tente de savoir quoi faire avec cette horreur si peu chère. Si jamais on accepte, on la revendra dans deux ans dans notre propre vente de garage.

Cela n'a rien du la frénésie du souk, rien du bazar, c'est trop calme et trop lent. Il se parle trop de langues différentes pour que de vraies communications s'engagent. C'est juste une autre façon d'être Montréalais.