Dépression et perturbateurs endocriniens
mercredi 10 mars 2010, 16:32 Ecolo Lien permanent
J'ai lu des tas d'articles scientifiques. Je n'ai pas tout compris, mais j'en sais assez pour poser des questions.
Avant 1950, la dépression était une maladie très rare (autour d'un cas sur 10 000 personnes) probablement d'origine génétique et qu'on traitait par électrochoc. Depuis les diagnostics de dépression sont en croissance constante, si bien que nous en serions à un homme sur 8 et une femme sur 5 qui ont un problème de dépression sévère au cours de sa vie. Il y a aucun doute, il s'agit d'une véritable épidémie.
Oui, la définition de dépression a changé et une meilleure connaissance du fonctionnement du cerveau permet de mesurer et décrire des réalités inconnues en 1950. Oui dans les phénomènes sociaux, l'isolement et le manque de support de la communauté qui nous entoure font partie des mécanismes qui favorisent cette épidémie.
Jusqu'à présent on traite la dépression surtout comme un phénomène psychologique. Des événements malheureux déclenchent un repli sur soi, et le traitement requiert une transformation du rapport au monde qui est long et difficile. Pour ma part, j'ai souvent présenté l'hypothèse que la dépression était une maladie de la communication, du rapport de soi avec son groupe, groupe d'ailleurs de plus en plus difficile à identifier. J'ai même pensé sans pouvoir faire de liens, que la télévision pouvait avoir joué un rôle déclencheur dans cette épidémie.
Il devient de plus en plus évident que les perturbateurs endocriniens, ces polluants chimiques que nous répandons dans la nature, ont une influence sur la fécondité. Diminution rapide de la spermatogénèse, féminisation des mâles de toutes les espèces, anomalie du système reproducteur et faible fécondité des femelles, sont en relation directe avec les perturbateurs endocriniens comme le bisphénol A, les DDT, les diéthylstibestrol et combien d'autres molécules de synthèse dont on ne connait pas l'action ou dont l'action sur le vivant n'est pas démontrée.
Je pourrais vous citer des centaines d'articles qui démontrent que les hormones ont des influences sur le fonctionnement du cerveau, particulièrement sur les neurotransmetteurs que sont la sérotonine, la dopamine, la mélatonine, aussi impliqués dans le développement et le traitement de la dépression. Mais vous le savez vous même dans votre propre corps, comment par exemple, le cycle menstruel affecte l'humeur.
Je pose la question : n'y aurait-il pas un lien à découvrir entre nos dépotoirs, les bouteilles d'eau en plastique, l'intérieur des boites de conserve et tant d'autres objets usuels et l'épidémie de dépression que nous subissons ?
Commentaires
La question se pose en effet. Je ne pense que la population soit plus dépressive. Nous vivons une époque où l'on médicalise trop les gens. Une pilule pour toutes les souffrances possibles et impossibles. As-tu lu le Meilleur des monde de Aldous Huxley ?
Je voulais dire : Je ne pense PAS que la population soit plus dépressive qu'avant notre époque dîte moderne.
Peut-être... Mais il y a aussi beaucoup de causes pour pousser les gens à la dépression : le chômage, avec l'image d'inutilité sociale associée ; le stress au travail qui est son pendant ; l'ascenseur social en panne, avec des enfants plus pauvres que leurs parents, ce qui tue l'espoir inter-générationnel (nos enfants n'auront pas une vie meilleure) ; l'imaginaire véhiculé par la pub, la télé, ... qui fait croire qu'on ne peut trouver le bonheur qu'en étant beau, riche et hyper-actif, qu'on est un raté sinon.
Je pense que les gens tombent en dépression quand ils n'ont plus aucun espoir de s'approcher de leur idéal. On fabrique des idéaux inatteignables et on sape les moyens des gens (moyens matériels et autres, comme la confiance en soi), donc on fabrique de la dépression...
Lune--) aussi les problèmes de communications. Je pense préciser que je ne fais pas abstraction des raisons ni psychologiques ni culturelles ( les statistiques de dépressions varient selon les cultures) de la dépression. Mais devant la présente épidémie, je pense qu'il faut se poser des questions, chercher plus loin.
Nos grands parents avaient aussi de bonnes raisons de faire des dépressions, et ils en faisaient beaucoup moins... j'essaie de comprendre.
Mélanie--) là, il y a plein de preuves statistiques. Ne fusse que par les taux de suicide des jeunes. Il y a proportionnellement beaucoup plus de gens dépressifs depuis 1950. Avant la prévalence allait vers d'autres maladies.
La médication permet de rendre plus ou moins actifs socialement des gens qui autrement ne le seraient que très peu. Après il faut qu'ils se guérissent, et ça c'est plus compliqué.
Oui les fameuses statistiques. Il faut se demander à qui profite ses fameuses statistiques. Maintenant les puissants de ce monde peuvent faire dire n'importe quoi aux statistiques. Je ne crois pas qu'il y ait plus de dépressifs que dans les années 50. Nous n'avions pas de statistiques avant 1950 sur la dépression. Je persiste à penser que les gens ne sont pas plus dépressifs ni plus malheureux. Les compagnies pharmaceutiques sont puissantes et c'est une industrie florissante. Les médias amplifient cette idée que nous sommes malades et nous devons être traités. Foutaise. C'est le système qui est malade en posant un regard clinique sur tout nos faits et gestes.
la dépression, c'est compliqué... il y a à la fois des causes psychiques et des causes physiques (les psy sérieux ne l'écartent plus d'un grand revers de la main).
Le pompon étant que les unes influent sur les autres ce qui rend d'autant plus difficile de transformer un cercle vicieux en cercle vertueux.
Ce qui veut dire que pour la traiter, il ne s'agit pas de "simplement" faire une thérapie ou "simplement" prendre des médicaments.
Ceci dit, le pan de la dépression le plus évident, c'est la cause "environnementale", la dégradation du lien social et l'isolation de l'individu connaissant, malheureusement, une accélération palpable...
Tu te demandes plus haut pourquoi nos grands parents ne faisaient pas plus de dépression...
Il y a déjà le principe tout simple que probablement il y a essentiellement une augmentation du nombre de signalement.
Il se trouve aussi que pour "faire" une dépression, il faut que ce soit une chose "admissible" sans se mettre encore plus en danger. Nos grands parents et même nos parents, n'avaient pas cette place-là. Je pense par exemple aux personnes revenues des camps de concentration qui n'ont pas pu parler à leur retour, parce que personne ne voulait entendre (ne pouvait faire face!) ce qu'ils avaient à raconter et à qui on répliquait que "tu es en vie, je vois pas ce qu'il te faut de plus!" (je caricature mais dans le fond c'est pas si loin que çà).
Alors, l'humain a mis en place une chose complètement dingue (mais étudiée et avérée depuis un petit bout de temps maintenant): il transmet ses traumatismes non résolus à la génération suivante (lire Fillozat et Tisseron) qui met parfois du temps à réaliser que ce qu'il porte ne lui appartient pas.
Et ça peut remonter à très loin avant et les traumatismes transmis sont autant d'ordre personnel (un deuil, un accident, une faillite...) que d'ordre universel (une guerre, une révolution). Et ça peut se cumuler au fil des générations.
J’ai connu une période de dépression après la naissance de ma fille (non ce n’était pas le fameux baby blues dont tout le monde parle), et l’on se sent très seule, le manque de communication entraine un repli sur soi et l’on sombre tout doucement sans s’en rendre vraiment compte. Il y a effectivement peut être un lien avec toute la pollution mais je pense que la pression que l’on subit au jour le jour est un réel facteur.
Et il y a aussi certains médecins qui diagnostiquent (et médicalisent d'office) des mal être directement en dépression parce que c'est plus facile à traiter que de chercher la cause du dit mal être...
Eddie--) Bien sûr, mais est-ce qu'un médecin est en mesure de trouver et surtout résoudre les vraies causes de la dépression ? que peut-il faire quand c'est la perte d'emploi ou les abus d'un employeur qui en est la cause ? les conditions économiques sordides ? Je pense que surtout dans le cas de la dépression, un médecin peut diminuer les symptômes pour rendre la guérison possible, peut indiquer des pistes, mais c'est le malade et son proche environnement qui est en mesure de peut-être se guérir. Il resterait aussi à définir qu'est-ce qu'est la guérison d'une dépression... ce n,est jamais comme avant, c'est plutôt retrouver un certain bonheur après une ... ( adaptation? transformation? non je n'ai pas de mot pour cela)
Luna--) bien sûr que tu as raison. Chaque dépression individuelle a un contexte qui la justifie amplement. J'essaie simplement de comprendre pourquoi il y a plus de dépressions maintenant qu'avant 1950. J'ai toujours dit et pensé que l'origine était culturelle. Mais je commence à regarder du coté du coté des polluants comme facteur aggravant.
Trollette--) nous disons presque la même chose... j'emploie culturel plutôt qu'environnementale comme premier facteur aggravant. Mais pour le reste oui, on ne guérit pas une dépression, il faut que le patient trouve des solutions d'adaptation pour lui. Au mieux les thérapies permettent de diminuer les symptômes pour permettre de re-voir la réalité, ce qu'on est incapable de faire dans le creux.
Pour ce qui est du signalement... non il y a véritablement une augmentation qui n'est pas qu'un effet de signalement ou de statistique ou de définition. C'est la réponse endocrinienne à l'environnement et à la culture qui est en train de changer. Pourquoi? comment ?
Bonne question Moukmouk,
oui, il est important de savoir que la dépression comme tu le dis est directement reliée à un débalancement au niveau des neuros-transmetteurs, créant un déséquilibre de la dopamine et de la sérotonine, exacte.
Le déséquilibre est provoqué par un élément déclencheur comme le stress, un mal de vivre ou une dure épreuve.Polluants, mode de vie stressant, je crois que la prolifération du fléau est un mélange des deux.
Dans les années 50, on traitait effectivement par électrochocs et plus particulièrement ceux qui souffraient de psychose maniaco-dépressive, aujourd'hui appelée mal bipolaire. Mon père en souffrait et a eu de nombreux traitement d'électrochocs...
Nanou--) le débalancement, c'est ce qu'on peut facilement mesurer. Bien sûr, il y a des raisons personnelles qui déclenchent la dépression. Il faut cependant étudier les facteurs qui favorisent pour bien comprendre ce qui est en train de se passer. Des facteurs personnels, d'autres sociaux, d'autres environnementaux.
Alain Erhenberg, dans La société du malaise, livre passionnant éclaire une partie des raisons de la montée de la dépression. Pour lui la dépression a pris la place de la névrose.
Jusqu'à la première moitié du XX siècle, la question majeure était "que m'est-il permis de faire" ? Les malades étaient en conflit avec la société.
Aujourd'hui, dans un monde où nous sommes sommés de venir nous même et donner le meilleur de nous même, la question est devenue "que suis-je capable de faire ?" C'est la capacité à s'affirmer qui devient un ingrédient de la réussite et de la socialisation. Les hommes ne sont plus en conflit avec le monde qui les entoure. Ils sont en perte, en prise avec un idéal toujours fuyant qui leur fait saborder leur estime de soi et les plonge dans la culpabilité du "je ne suis pas capable"
Et il ajoute "il ne s'agit plus de libérer l'individu des contraintes qui l'empêchaient de devenir lui même mais de le soustraire à la séduction morbide des idéaux qui le contraignent à devenir lui même."
Cela ne évidemment pas pas dire que l'environnement biologique et chimique dans lequel nous vivons n'a pas d'influence. Cela pose juste que la dépression occidentale est un fait social, culturel.
J'ai parfois l'impression que l'étiquette "déprimé (e) " (avec sa connotation péjorative) est apposée sur l'individu en crise sans chercher à voir plus loin. Les deux "problèmes" - la crise, de quelque nature qu'elle soit, et la vraie dépression, qui est d'origine physique - sont le plus souvent confondus. On ne"soigne"pas un apres-divorce, un deuil, une absence, une rupture, bref, une souffrance intérieure en faisant "echapper" le ou la malade grace à un tas de pilules, c'est une hérésie dangereuse, criminelle. En faisant cela, on enlève à l'humain sa chance de reprendre le dessus par lui/elle-même, et de retrouver sa force et sa fierté. J'emploierais bien des mots désuets comme courage, force, tenacité, patience, bonté, écoute et pourquoi pas amour, pour aider la personne en peine. Ces mots là valent, en matiere d'adoucissement des peines, toutes les pilules du monde, mais ne sont pas cotés en bourse. Et puis,les mots n'ont pas des effets secondaires qui enverront le "malade" aux soins intensifs dans les 5 ans qui suivront.
Toutefois, et dans certains cas précis le traitement medicamenteux s'impose. Mais encore faudrait-il que ces médicaments soient administrés sous haute surveillance. Tel n'est pas le cas, du moins ici (USA) où les petites pilules du bonheur font recette : il y a seulement cinq ans, une amie attristée par la mort de son père, et qui avait eu le malheur d'en parler à son médecin traitant au cours d'une visite de routine, s'est vue expédiée chez un psychiatre,qui lui a délivré par la suite une ordonnance de Zoloff A VIE.. Est-il besoin d'en dire plus long ?
Il y a effectivement une augmentation constante de personnes qui vont d'elles mêmes ou sont envoyées en consultation psy sous la dénomination dépression. Il semble que le public commence enfin de se poser des questions et commence aussi de faire la différence entre la fatigue : due au travail, aux mauvaises habitudes alimentaires, au stress ; les déceptions : on nous fait espérer une vie rose bonbon et la déception nous arrive dessus tres vite par la suite ( ici, Moukmouk,. oui, il y aurait impact du coté tele) ; les tristesses qui jalonnent toute vie humaine - et cette terrible maladie dont on croit tout savoir, mais qui nous échappe en sa presque totalité.
merci pour cet article et la discussion qui a suivi, Moukmouk
Ils sont en perte, en prise avec un idéal toujours fuyant qui leur fait saborder leur estime de soi et les plonge dans la culpabilité du "je ne suis pas capable"
Tout a fait ! merci Saveurs.
Lise--) ce qui se passe en dedans est le reflet de se qui se passe dehors.
Tu as bien raison de dire que l'amitié, l'écoute et l'amour sont souvent plus efficace que les médicaments. Sauf que le support de son groupe est devenu une denrée très rare dans notre monde, et qu'on ne peut pas l'acheter à la pharmacie.
Un des problèmes qui rend la dépression si difficile à traiter, c,est qu'avec un taux de sérotonine trop bas, nous ne sommes pas capable d'aller vers l'autre, et même plus simplement de réalité comme le courage, la force parce que cela demande un minimum d'estime de soi.
C'est à ce moment là que la chimie peut aider. Mais ça ne guérit rien. C'est simplement se donner le moyen de faire le travail pour s'en sortir.
Les cas d'accident avec des antidépresseurs sont quand même rares et surviennent généralement avec des surdoses massives, où des mélanges avec l'alcool ou autres drogues. Je suis tout à fait d'accord avec toi qu'on prescrit à tort et à travers, et surtout que le suivi est vraiment une catastrophe.
Ma tentative est de discuter des facteurs aggravants pour tenter de comprendre et ce faisant de se donner une chance d'aider ceux qui nous entoure.
Saveur(s)--) très intéressant et éclairant cette démarche, qui va finalement dans le même sens que Karl Young la possession comme réponse à un monde trop normé à la dépression dans un monde sans support.
Il reste qu'il y a une dimension supplémentaire très pertinente. La société marchande nous fait vivre dans la recherche frénétique du prochain achat qui nous apportera le bonheur... et quand on ne peut pas se payer l'achat, nous entrons dans la catégorie de ceux qui ont échoué, qui sont incapables de répondre au rêve, pour qui le bonheur est impossible.
Je sais bien que l'idéal morbide qu'il décrit dépasse l'achat de la super-bagnole... mais nous renvoie au même vide.
sujet super compliqué !
d'abord, c'est quoi la dépression ? la définition des médecins ou celle des patients (jamais assez écoutés !) ? la définition des grands labos pharmaceutiques ?
chaque cas est individuel... et il y a des facteurs physiques, biologiques, culturels, psychiques... très complexes.
en ce me concerne, ma dépression a été une chance, une occasion de vivre une véritable *transformation* de ma vie comme tu le dis Moukmouk. Et je vis bien mieux qu'avant.
en France, on peut être très bien suivi si on prend des médicaments psychotropes et neuroleptiques.
BM