lundi 30 septembre 2024

Maria Chapdelaine

Le voyage en avion de Marseille à Montréal dure plus de 8 heures. C’est long ! Heureusement on peut se distraire grâce à l’importante programmation de films, séries ou musiques proposée aux passagers.

Afin de mieux connaître le pays où je me rendais, je décidai de regarder la dernière adaptation au cinéma de l’incontournable roman québécois (bien qu’écrit par un Français) « Maria Chapdelaine ».

Il s’agit de l’histoire d’une jeune Québécoise au début du siècle dernier. Elle est la deuxième enfant d’une famille de paysans qui vit en pleine cambrousse du côté du lac Saint-Jean. Samuel, le père, n’aime visiblement pas le voisinage et emmène tout son petit monde s’installer toujours plus loin dans la forêt dès qu’une autre famille construit sa cabane un peu trop près, au grand dam de la mère, Laura, qui aimerait bien se fixer définitivement quelque part.

Le film commence par la grande attraction de l’hiver (et la seule) : l’aller-retour en traîneau à la ville la plus proche pour assister à la messe de minuit. Ensuite, il faudra attendre le début de l’été pour qu’il se passe quelque chose dans la vie des Chapdelaine car voilà qu’arrivent les saisonniers pour aider à couper le bois dans la forêt, principale ressource de la famille. Et donc, pendant plus de 20 minutes (le film dure 2h38) on assiste au travail de bûcheronnage, avec une scie, avec une hache, le matin, l’après-midi, le soir, etc.

A la fin de l’été, on change d’activité et on va ramasser des bleuets (myrtilles ou airelles en France) ce qui dure encore un bon quart d’heure mais qui donne l’occasion à Maria de se rapprocher de François Paradis. A la fin de l’après-midi, ils s’assoient tous les deux sur un tronc et François lui avoue qu’il reviendra au printemps suivant. Y aurait-il anguille sous roche ou plutôt écureuil sous érable ?

Bon, il va falloir encore patienter durant le long hiver québécois pour connaître la suite de l’histoire de François et Maria mais après tout, je n’ai que ça à faire.

Hélas, lors de la traditionnelle expédition à travers bois pour aller assister à la messe de Minuit (seule distraction de l’hiver avec les polissonneries du plus jeune fils qui répond au doux prénom de Télesphore) Maria apprend que contre l’avis de tous ses proches, François est parti faire une balade en forêt et qu’il n’est jamais revenu.

Le sort s’acharne sur la famille quand peu de temps après, la mère meurt de maladie. C’en est trop ! Maria fait une tentative de suicide. Elle sort dans la neige au petit matin, vêtue de sa seule chemise de nuit. Heureusement son père la retrouve très vite et dans la foulée, il l’emmène chez le psy de l’époque c’est-à-dire le curé. Celui-ci rappelle assez brutalement à Maria qu’après tout, François lui a seulement promis de « revenir au printemps prochain » ! Piètre consolation !

L’été suivant, Maria va avoir le choix entre deux prétendants : Lorenzo Surprenant qui s’en vient passer des vacances au pays après avoir fait carrière à Boston (prononcez « Boston » à la française comme « bonbon » et non pas à l’anglaise comme « bonbonne ») et Eutrope Gagnon qui comme elle, vit dans une cabane au milieu de la forêt. Après bien des tergiversations, Maria choisira bien sûr le paysan québécois pour ne pas trop s’éloigner de son père et de ses jeunes frères et sœurs.

Le film est long, très long. Il n’y a pas vraiment de scènes d’action : pas de courses poursuites en traîneau dans la neige ni de massacres à la tronçonneuse dans les bois… mais, j’ai tenu jusqu’au bout !

En revanche, comme je l’ai déjà écrit dans un article précédent, j’ai dû, pour comprendre les dialogues, lire les sous-titres anglais. Je présente une nouvelle fois toutes mes excuses aux Québécois.

Surtout, qu’ils gardent leur magnifique accent !

 

 

lundi 9 septembre 2024

La famille de Moukmouk

Lorsque j’ai quitté Montréal début octobre 2022, Moukmouk m’avait avertie qu’il allait commencer une dialyse péritonéale le mois suivant. C’est une technique moins contraignante que la dialyse classique qui peut s’effectuer chez soi, sans l’aide d’une machine mais qui doit être renouvelée quotidiennement. J’imagine qu’il lui a été tout de même très difficile de prendre cette décision qui réduisait son autonomie et le privait de tout séjour à Pohénégamouk. Hélas, lors d’une manipulation, il n’a pas dû respecter totalement les règles d’hygiène et a été hospitalisé à cause d’une infection. La suite, on la connaît : il nous a quittés un an plus tard.

 

Il m’a envoyé un mail très alarmant fin octobre 2023 où il me disait qu’il entrait en soins palliatifs et qu’il avait vu ses enfants pour la dernière fois. Je lui ai immédiatement répondu mais je n’ai plus jamais eu de nouvelles. Le pire, c’est que je ne savais pas comment joindre sa famille pour en avoir. Je ne connaissais pas ses enfants. Je savais juste que son fils aîné vivait au japon, sa fille à Vancouver et son plus jeune fils, depuis peu, à Québec.

J’avais bien l’adresse mail de sa sœur aînée que j’avais rencontré en octobre 2022. Elle aussi vivait à Montréal l’hiver et dans une jolie maison au bord du Saint-Laurent l’été. Nous nous y étions arrêtés en allant à Pohénégamook. Elle nous avait chaleureusement accueillis et nous avait offert des légumes de son jardin. Moukmouk ne la voyait que rarement car il lui reprochait d’être trop maternelle à son égard mais moi, je l’ai trouvée très sympathique. Malheureusement, elle est décédée en décembre 2022.

 

En octobre 2022, j’avais également rencontré son frère aîné et là, c’était une tout autre ambiance ! Nous étions à Pohénégamouk et il devait arriver dans la soirée avec son fils. Il avait prévu une étape entre les îles de la Madeleine et Montréal afin de récupérer le catamaran que Moukmouk ne pouvait désormais plus utiliser. C’était un petit homme glacial qui parlait peu ou alors juste pour faire des reproches à son frère comme par exemple de trop chauffer sa maison !

 

Le lendemain, nous avions prévu une excursion au bord du Saint-Laurent : visite insolite d’un sous-marin des années 60 à Pointe-au-Père puis petite balade dans le parc national du Bic. Dans la voiture, j’ai dit à Moukmouk :

-Je comprends pourquoi tu as maintenu l’excursion aujourd’hui au lieu de passer la journée avec ton frère, vous n’avez pas l’air de bien vous entendre !

Il s’était contenté d’acquiescer en souriant.

 

   

 

 

Le soir, alors que je me préparais à passer une nouvelle soirée glaciale, le neveu de Moukmouk va faire un petit tour dehors après le repas et rentre en disant :

-On voit très bien Jupiter ce soir !

Je savais que Moukmouk avait un vieux télescope dans son garage mais son neveu a sorti de sa voiture un petit bijou de technologie électronique et nous avons pu admirer Jupiter avec ses lunes galiléennes, Io, Europe et Ganymède ainsi que Saturne et ses anneaux ! Ouf ! La soirée était sauvée !

Ils sont repartis le lendemain matin, de bonne heure.

 

Je dois tout de même préciser que Moukmouk a reçu une semaine plus tard, un mail de son frère aîné dans lequel il présentait ses excuses pour s’être montré aussi désagréable lors de son passage à Pohénégamouk.

Toutefois, je n’avais pas son adresse mail pas plus que celle des trois enfants de Moukmouk. J’ai donc écrit une lettre à la résidence pour séniors où il habitait en espérant que l’un des habitants ouvrirait le courrier et me répondrait. En vain, hélas !

 

J’ai fini par envoyer un message privé à l’un de mes followers de Twitter (X) qui habite à proximité de Montréal. Il était venu déjeuner avec Moukmouk et moi dans un petit restaurant de la rue Saint-Denis en 2021. Je lui ai demandé de se rendre à la résidence pour se renseigner. C’est lui qui m’a annoncé la triste nouvelle : Moukmouk était mort depuis une semaine.

 

Jean, je te remercie encore une fois d’avoir accepté de te déplacer.

mardi 2 juillet 2024

Montréal

J’habite à Marseille, une ville formidable, certes, mais où la vie quotidienne est un peu compliquée… Premier exemple : les transports en commun. Merci Gaston Defferre qui a refusé au début des années 60, la conurbation avec les communes avoisinantes afin de préserver son électorat. Résultat : pas d’argent pour construire un métro. Marseille sera jusqu’au début des années 80, la ville du « tout voiture ». En 2024, la situation n’est guère plus brillante pour la deuxième ville de France : 2 lignes de métro seulement et 3 lignes de tramway qui, sauf sur une infime partie, côté est de la ville, doublent les lignes de métro ! Les 4 mandats du maire suivant n’ont pas été plus profitables pour les Marseillais : des écoles primaires en perdition, des quartiers parmi les plus pauvres d’Europe, des immeubles vétustes qui s’écroulent dans le centre-ville, des grèves de ramassage des ordures à répétition. Et pour finir, la guéguerre actuelle entre la nouvelle Municipalité pleine de bonne volonté et la Métropole pas du même bord politique aggrave encore plus le quotidien des Marseillais : plus de métro après 21h30 en semaine, grèves des éboueurs qui s’éternisent. L’une d’elles a même provoqué une catastrophe écologique sur les plages après une tempête mémorable.

 

Quel contraste avec la ville de Montréal où tout semble être fait pour faciliter la vie de ses habitants ! Des lignes de métro efficaces, une ville souterraine qui permet de vivre plus confortablement durant le terrible hiver québécois, des rues propres, des trottoirs dégagés…

 

Depuis décembre 2020, Moukmouk habitait dans une résidence pour seniors parfaitement adaptée à sa situation : appartements accessibles aux personnes à mobilité réduite, buanderie et salle à manger communes pour recevoir des visiteurs à chaque étage, cafétéria le midi au rez-de-chaussée. A côté de chaque porte se trouvait une petite étagère sur laquelle chaque résident pouvait poser un petit objet décoratif ou des bonbons dans une coupelle. Comme Moukouk n'avait rien sur la sienne, je lui avais offert un petit ours en peluche et une jolie carte que j’avais achetés pendant notre virée en Gaspésie. Il se sentait tellement mieux dans cette résidence que dans son précédent logement à Montréal où il était si seul ! De plus, il a pu remettre en route le journal local de l’établissement, ce qui lui a permis de s’occuper et de moins regretter de se trouver si loin de sa jolie maison au bord du lac.

 

 

Cette résidence se trouve à proximité du quartier de Lachine, une ancienne zone industrielle installée le long d’un canal qui a périclité il y a une vingtaine d’années mais qui a été parfaitement restaurée et mise en valeur : immeubles industriels reconvertis en habitations, pistes cyclables et piétonnes le long des berges et pour finir, le pittoresque marché Atwater où nous allions nous ravitailler. Une vraie réussite !

 

 

 

Et puisque j’en suis à énumérer les attraits de Montréal, je tiens à citer le magnifique jardin botanique que nous n’avons hélas, pas pu parcourir ensemble car la santé de Moukmouk ne le lui permettait déjà plus en 2021.

 

Mais Montréal n’est pas qu’une ville touristique. J’ai visité en 2019 le musée d’histoire de Pointe-à-Callière qui présentait alors une exposition temporaire sur les vagues d’immigrations successives venus d’Espagne, d’Italie, d’Algérie, d’Inde, et la politique d’intégration mise en œuvre pour accueillir ses populations. Rien à voir avec le parcage dans des cités bétonnées et les moyens pédagogiques misérables proposés aux écoles marseillaises pour enseigner le français aux enfants primo arrivants.

 

Je tiens également à remercier les deux représentants des Greeters de Montréal qui m’ont fait découvrir pour l’une, le quartier italien et la fresque du groupe Beau Dommage et pour l’autre, le restaurant où on peut manger les meilleurs bagels de la ville au pied du Mont Royal. Pour information, je fais moi-même partie des Greeters de Marseille et je montre aux touristes les bons côtés de la cité phocéenne, qui existent malgré tout et me permettent d’espérer que cette ville finira un jour par régler ses problèmes internes et devenir aussi agréable à vivre que Montréal.

 

  

 

 

Petit bémol cependant pour Montréal : il est parfois un peu compliqué pour le touriste moyen de comprendre s’il est permis ou non de se garer !

 

  

 

 

lundi 29 avril 2024

Québec

C’est la première ville que nous avons visitée ensemble. Moukmouk la connaissait depuis longtemps bien sûr. Quant à moi, j’ai découvert l’une des plus vieilles villes nord-américaines, fondée par un Français, Samuel de Champlain, en 1608. Québec viendrait d’un mot algonquin (les tribus de la forêt) qui signifie rétrécissement du fleuve.

Une citadelle construite sur des collines bordant le Saint-Laurent domine la ville. Puis en descendant vers le centre, on peut admirer le majestueux château Frontenac, traverser la vaste place toujours très animée qui l’entoure puis continuer par les petites rues du vieux Québec. La plus célèbre est la rue du Petit Champlain, étroite voie commerçante, pavée et colorée ; on y accède en empruntant le pittoresque escalier Casse-Cou.

Nous avons pris ensuite le traversier pour aller à Lévis, petite ville sur la rive sud du Saint-Laurent. Cette traversée d’un quart d’heure environ permet d’avoir une magnifique vue sur Québec. Moukmouk m’a avoué que, comme c’était gratuit autrefois, il y emmenait les blondes pour dont il était tombé en amour quand il était un jeune étudiant désargenté.

 

    

 

Mais revenons aux remparts dominant la ville. A côté s’étend un vaste plateau, les plaines d’Abraham, siège d’une bataille historique en 1759 entre les troupes de la Nouvelle-France et les Britanniques. Malheureusement, les Français seront vaincus et devront remettre la ville dévastée à la Couronne d’Angleterre.

 

Les Plaines d’Abraham sont aujourd’hui un vaste parc peuplé d’écureuils comme tous ceux d’Amérique du nord. On y a construit un musée d’histoire bien sûr mais aussi le magnifique musée national des beaux-arts du Québec. Et si j’ai choisi de parler de cet endroit, c’est parce que j’y ai découvert l’art inuit.

 

Moukmouk m’a longuement raconté comment les tribus amérindiennes du Québec ont été maltraitées lors de la colonisation par les Européens, comment elles ont été obligées de s’adapter et de se convertir au christianisme, comment elles ont été reléguées sur les terres les plus pauvres tandis qu’on emmenait leurs enfants dans des internats religieux pour les couper de leur culture et de leurs racines. Les Inuits, eux aussi, ont été contraints d’abandonner leur mode de vie nomade, traditionnel, de chasseurs et de pêcheurs, de se sédentariser dans des villages construits par le gouvernement et de vivre désormais des aides de l’Etat. La plupart d’entre eux ont sombré dans la dépression et l’alcoolisme. Moukmouk les connaissait bien car il a travaillé de longues années dans le grand Nord canadien pour y filmer la faune et la flore. Ce peuple qui était déjà très méfiant de nature est devenu complètement hermétique et fermé aux étrangers et Moukmouk a eu les plus grandes difficultés du monde à communiquer avec eux.

Les seuls à avoir pu surmonter ce changement radical d’existence sont les quelques artistes qui ont su réinventer l’art millénaire de la sculpture inuit. L’une des salles du musée leur est consacrée et on peut y admirer de magnifiques représentations d’animaux et de personnages mythologiques sculptées dans de la pierre ou dans des os de cétacés ou de phoque.

     

Voici les plus emblématiques d’entre eux : l’Ours qui danse et le symbole inuit de l’être humain.

 

 

 

      

lundi 8 avril 2024

Notre virée en Gaspésie

L’automne 2021, j’ai loué à Montréal une minuscule voiture : une Chevrolet Spark rouge vif. J’étais au volant, Moukmouk s’asseyait dans le siège passager après l’avoir reculé au maximum, ma grosse valise occupait tout le siège arrière et il y avait juste assez de place dans le coffre pour le sac de Moukmouk. Mais nous sommes tout de même allés jusqu’à Gaspé.

 

Gaspé se situe à l’est du Québec au bout de la péninsule gaspésienne et signifie la fin des terres en langue micmaque (ensemble des tribus habitant au bord de la mer). C’est l’équivalent de notre Finistère, du latin Finis Terrae mais en beaucoup plus loin car les distances, là-bas sont énormes comparées à celles de la France. Cette distance (plus de 1100 km aller-retour de Pohénégamook qui se situe déjà à 450 km de Montréal) Moukmouk l’avait effectuée en vélo dans sa jeunesse avec sa première femme. Nous avons sagement préféré ma petite voiture de location.

 

Conduire au Québec est très facile et peu fatigant : les routes sont droites, larges, le trafic assez faible et les automobilistes sont en général comme dans la vie de tous les jours, détendus et courtois. Pas d’excités qui cherchent par tous les moyens à gagner quelques minutes quitte à mettre en danger, eux et les autres. Je sais de quoi je parle : j’habite à Marseille.

 

Nous avons tout de même connu quelques péripéties durant notre périple.

 

D’abord, la pluie qui nous a accompagnés durant toute la première journée de notre voyage. Pas de quoi nous arrêter bien sûr cependant nous avons roulé pendant plus de 100 km sur la route qui longe la rive sud de l’estuaire du Saint-Laurent en passant au pied de falaises abruptes, avec à gauche, le panneau « danger, vagues submersives » et à droite, celui de « danger, éboulement ».

 

La première nuit, nous avons loué un bungalow dans un camping en bord de mer qui sentait nettement la fin de saison. Heureusement, la pluie a cessé en fin d’après-midi car il fallait prendre un sentier au milieu des bois pour se rendre aux sanitaires. Mais le feu de bois dans la salle commune et la vue sur la mer depuis la falaise valaient bien quelques désagréments.

 

 

Autre problème : nous étions en période post Covid et beaucoup de restaurants n’étaient pas encore ouverts ou ne proposaient que des repas à emporter car la « salle à manger » était fermée. Le temps étant beaucoup trop frais pour pique-niquer à l’extérieur et notre voiture beaucoup trop exigüe pour pique-niquer à l’intérieur, nous avons parfois dû rouler pendant des kilomètres avant de trouver enfin un endroit pour déjeuner.

 

A Percé, où nous nous sommes arrêtés pour admirer le fameux Rocher Percé, tous les restaurants étaient fermés. Ironie du sort : le seul commerce ouvert vendait des souvenirs made in China pour les touristes !

 

 

Après avoir visité le magnifique parc national du Forillon avec ses falaises, ses cascades et ses rivières, nous avons passé la nuit à Carleton, petite ville au sud de la péninsule gaspésienne.

 

 

Carleton est proche de la frontière d’un autre état canadien, le Nouveau-Brunswick. Nous avons envisagé de le traverser pour rejoindre plus rapidement Pohénégamook. Malheureusement, toujours à cause de la période post Covid, il fallait demander en ligne la permission de pénétrer dans ce territoire et la réponse n’était donné que quelques jours plus tard. Nous y avons donc sagement renoncé, la police nord-américaine n’étant pas reconnue pour sa tolérance…

 

Et justement à cause de la proximité avec l’état du Nouveau-Brunswick, mon téléphone a changé d’heure sans que je m’en aperçoive alors que je me promenais au coucher du soleil, le long du port pendant que Moukmouk se reposait à l’hôtel. Si bien que le lendemain, je l’ai réveillé une heure plus tôt. Naturellement, la salle à manger de l’hôtel était fermée mais nous sommes partis quand même et c’est ainsi que j’ai eu l’occasion de prendre un petit déjeuner mémorable.

 

Nous nous sommes arrêtés le long de la route qui traverse la Gaspésie du sud au nord. Nous avons trouvé l’un de ces « diners » nord-américains avec ses petites tables entourées de hautes banquettes, sa serveuse qui ressert du café à volonté, ses pancakes au sirop d’érable et ses œufs brouillés avec du bacon. Par la fenêtre, nous pouvions voir la route, la rivière et la forêt mais aussi le parking où étaient garés de gros pickup. Les conducteurs de ces engins étaient installés non loin de nous, reconnaissables à leurs chemises à carreau, la casquette vissée sur la tête et les rangers aux pieds. Il ne manquait plus que de la musique country en fond sonore pour se croire dans un road movie américain !

 

 

La route de retour nous a réservés d’autres heureuses surprises. Après avoir traversé un pont couvert digne du film « Sur la route de Madison », nous avons rencontré un charmant vieux monsieur qui vendait de jolis tableaux naïfs peints par sa femme décédée quelques années auparavant. Un peu plus tard, nous nous sommes arrêtés au bord du Saint-Laurent pour admirer l’envol d’un groupe d’oies sauvages qui migraient vers le Sud. Quant à nous, nous avons terminé notre virée à Pohénégamook dans la petite maison au bord du lac de Moukmouk.

   

 

 

 

samedi 9 mars 2024

Moukmouk et la maladie

Lorsque je suis allée le voir pour la première fois à l’automne 2019, il était déjà malade. Ses problèmes cardiaques et rénaux l’avait contraint à rendre son permis de conduire mais il était encore capable de prendre le bus entre Montréal et Pohénégamook.

 

Nous nous étions donné rendez-vous à Québec où il avait loué un Airbnb. Le lendemain nous avons visité cette ville, une des rares villes historiques d’Amérique du Nord avec son château et ses vieilles rues. Malheureusement, nous nous sommes trompés pour le retour en bus et il nous a fallu marcher environ trois kilomètres pour revenir à notre logement. Pour moi, ce n’est rien mais lui, s’essoufflait très vite et nous avons dû faire de nombreuses pauses. Heureusement nous avons traversé un charmant quartier résidentiel avec de très jolies maisons, certaines même arborant déjà les décorations d’Halloween qui sont bien plus spectaculaires qu’en Europe.

 

Evidemment, il ne se plaignait jamais. A peine disait-il de temps en temps : « Le vieux monsieur est un peu fatigué ». Mais je voyais bien qu’il prenait déjà tout un tas de médicaments.

 

Alors, pendant tout le reste de mon séjour, j’ai fait très attention à ce qu’il n’ait pas à marcher longtemps et lorsque je voulais faire une petite balade au parc des Chutes à Rivière du Loup ou à celui de Saint-André de Kamouraska le long du fleuve Saint-Laurent, je lui trouvais un banc au soleil où il pouvait m’attendre ou alors, je le laissais se reposer dans sa jolie maison de Pohénégamook et je partais seule, me promener dans les bois, ce qui m’a valu une rencontre amusante avec des bûcherons que je vous raconterai plus tard.

 

Lorsque je suis repartie, Moukmouk m’a avoué qu’il avait eu un peu peur que je m’ennuie chez lui ou que je bouscule trop ses habitudes mais que finalement, je m’étais montrée très autonome et qu’il était très content que tout se soit s’y bien passé.

 

Il allait alors suffisamment bien pour que je lui propose de venir quelques jours à Noël à Marseille. Hélas, son état de santé ne le lui a finalement pas permis. Puis début 2020, la terrible pandémie de Covid a empêché tous déplacements et il a passé une bonne partie de l’année à l’hôpital de Montréal. Il s’est alors retrouvé vraiment seul, ses enfants habitant très loin, Toronto, Vancouver et Tokyo, et n’ayant pas la possibilité d’aller le voir à cause de la crise sanitaire mondiale.

 

Heureusement, fin 2020, il a déménagé dans une résidence pour séniors où il s’est fait des amis. Il a même relancé le petit journal de la résidence des Bâtisseurs dont il est devenu le rédacteur en chef.

 

Je n’ai pu me rendre à nouveau au Québec qu’à l’automne 2021. La frontière a ouvert le 1er septembre, je suis arrivée le 21. J’étais si contente de retrouver Moukmouk ! Il n’était plus capable d’affronter le long voyage en bus jusqu’à Pohénégamook et devait dormir avec un respirateur. Nous avons loué une voiture et ainsi il a pu passer quelques jours dans sa maison au bord du lac. Nous avons même organisé une petite virée en Gaspésie que je vous raconterai plus tard.

 

Lors de mon dernier séjour au Québec à l’automne 2022, il avait encore plus de mal à marcher et il était souvent fatigué car il dormait mal la nuit. Grâce à moi, il a pu retourner une dernière fois à Pohénégamook. Le jour de mon départ, il m’a avoué qu’il allait commencer une dialyse au mois de novembre suivant.

 

Il ne lui restait plus qu’un an à vivre. Repose en paix, Moukmouk.

 

 

Les Québécois suite

Je vous ai déjà parlé des Québécois. Même si j’ai eu parfois du mal à les comprendre, je les ai trouvés accueillants, souriants, toujours positifs et très serviables.

 

Un jour, j’ai demandé à Moukmouk ce que, eux, pensaient de nous les Français. Bien sûr, comme dans la plupart des pays étrangers, nous passons pour les râleurs de service mais surtout, nous leur donnons l’impression d’être méprisants à leur égard et ce, à cause bien sûr, de leur accent. Mais ce n’est pas entièrement de notre faute…

 

Moukmouk m’a expliqué que les Québécois sont parfaitement bilingues car dès l’école primaire, les élèves francophones doivent passer un mois chaque année dans une école anglophone et vice-versa. Puis arrivés au collège, les anglophones suivent des cours de français qui doivent être dispensés par des enseignants français et non pas québécois car le gouvernement canadien estime qu’ils n’ont pas le bon accent français. Ce qui a vexé pas mal de professeurs locaux comme on peut l’imaginer et nous a valu cette réputation d’être méprisants vis-à-vis de des Québécois.

 

Moukmouk avait bien raison de se méfier des Anglais (c’est ainsi qu’il appelait les Canadiens anglophones) !

 

Je présente tout de même mes excuses à tous les Québécois qui se sont sentis discriminés par cette mesure injuste et je répète que pour moi, ce pays et ses habitants ont été les plus accueillants de tous les endroits que j’ai visités. Et j’ai pas mal voyagé !

 

Pour preuve, cette anecdote qui s’est déroulée à la fin de mon premier séjour au Québec en octobre 2019.

J’étais revenue à Montréal en bus après avoir laissé Moukmouk à Pohénégamook et rendu ma voiture de location à Québec. J’avais retenu une chambre dans une auberge de jeunesse pour deux jours afin de visiter la ville. J’avais tout prévu sauf d’acheter un billet pour la navette de Montréal à l’aéroport, persuadée de pouvoir le faire à la gare routière.

Eh bien non, l’employée m’explique qu’il faut que j’aille dans une station de métro. Zut ! Je sors et je rencontre un vigile sur le trottoir à qui je demande où se trouve la station la plus proche. Par chance, elle est à quelques mètres. Malheureusement, pour y accéder, je découvre un escalier interminable et un escalator uniquement pour remonter. Or je trimballe une très grosse valise. Comment faire ? J’ai calculé au plus juste le temps qu’il me fallait pour me rendre à l’aéroport et je ne veux surtout pas rater mon avion !

Je retourne demander conseil à mon vigile. Il me propose alors de garder ma valise pendant que je descends acheter mon billet. Je ne peux m’empêcher de lui dire :

-Mais, Monsieur, vous savez, moi, j’habite à Marseille et là-bas, si quelqu’un vous propose de garder votre valise pendant que vous allez faire une course, il y a de fortes chances pour que vous ne la retrouviez jamais.

Il me tend alors son téléphone portable.

-Prenez-le en échange, me propose-t-il.

J’ai hésité une demi-seconde : bon, après tout, mes affaires ne lui iraient certainement pas ! Je finis par dire :

-Gardez le téléphone, je vous fais confiance.

J’avoue que je suis tout de même allée chercher mon billet au pas de course.

Mais encore une fois, je m’inquiétais pour rien : il m’attendait patiemment sur le trottoir avec ma valise.

 

Et voilà, je suis arrivée à temps à l’aéroport et je salue tous les Québécois que j’ai rencontrés pendant mes séjours dans leur beau pays.

jeudi 15 février 2024

Moukmouk l'Indien suite

Si Moukmouk écrivait sur son blog des histoires avec tant de poésie, c’est grâce à ses origines et à sa culture amérindienne.

 

J’ai déjà raconté comment il en avait souffert pendant son enfance et comment il en avait conçu une grande répulsion vis-à-vis de la religion catholique comme d’ailleurs, beaucoup de ses compatriotes. Alors qu’en France, l’Eglise et l’Etat ont été séparés en 1905, il a fallu attendre jusqu’à la fin des années soixante pour que les Québécois prennent enfin leurs distances avec la religion qui régentait entièrement leur vie. La preuve : presque tous les noms des villes et villages ont pour nom Saint-Quelque Chose et les injures traditionnelles font référence à la religion comme le fameux « Tabernacle ».

 

Heureusement, Moukmouk a renoué avec la sagesse de ses ancêtres certainement grâce aux longs séjours qu’il a passés dans la solitude du Grand Nord canadien et ceux au bord de son lac de Pohénégamook. Du moins, c’est ce que j’ai cru comprendre et j’ai envie de vous raconter quelques anecdotes amusantes à ce sujet.

 

Dans les délicieuses histoires que Moukmouk a postées sur son blog, il donne souvent des noms propres aux animaux : Koi-Koi, la vieille oie des neiges, Estelle et Célestine, les dames Caribous et bien d’autres encore… Dans la vie, il le faisait aussi. Un après-midi, nous observions les oies bernaches qui nageaient sur le lac de Pohénégamook à travers la grande baie vitrée du salon. Soudain, quelque chose a jailli des flots et a tenté de s’emparer d’un des volatiles. « Il y a vraiment un monstre dans le lac ? » ai-je demandé, surprise, à Moukmouk. « Non, m’a-t-il répondu, c’est la truite … (j’ai malheureusement oublié le prénom) qui vit ici depuis plus de trente ans. Elle est devenue énorme et essaie parfois d’attraper un oiseau ».

 

La deuxième anecdote concerne ses parents.

 

Moukmouk m’a souvent parlé de sa mère décédée des années auparavant et qu’il avait accompagnée jusqu’au bout. Ils avaient l’habitude de faire des parties de Scrabble et lorsqu’elle a commencé à perdre la tête, il la laissait gagner pour qu’elle ne se rende pas compte de son état. Quant à son père disparu bien avant il m’a raconté un jour, un souvenir d’enfance qui m’avait bien amusée.

 

Son père avait l’habitude de l’emmener randonner en forêt avec son frère et sa sœur. Mais il n’emportait aucun pique-nique. Au moment du déjeuner, il disait : « Les enfants, commencez à préparer un feu pendant que je vais chercher de quoi manger ». Et il revenait un peu plus tard après avoir chassé, pêché ou cueilli leur repas de midi.

 

Cette façon de faire est tellement éloignée de nos habitudes de confort actuelles m’avait laissée mi-éberluée mi-admirative. Alors un dimanche soir, j’ai décidé de le surprendre à mon tour. Je lui ai dit : « Je vais faire une tarte aux pommes à la façon de ton père. Tu as de quoi faire la pâte, je vais chercher des pommes ». Evidemment, aucun magasin n’est ouvert le dimanche soir à Pohénégamook mais j’avais repéré un pommier au bord de la route, pas très loin et je suis allée ramasser suffisamment de pommes pour faire la tarte. Et toc !

 

Pour terminer, je vais vous raconter l’une des premières soirées que j’ai passée avec Moulmouk et qui décrit exactement ce qu’il était. Nous étions allés à Tadoussac pour voir les baleines et nous logions dans une auberge de jeunesse. Le gérant nous a proposé de dîner à une grande table avec les autres résidents et nous avons bien sûr accepté. C’était fin septembre et il y avait encore des touristes, principalement français. Pendant le repas, Moukmouk a raconté ses histoires d’animaux, de baleines, de bélougas et autres comme il le faisait sur son blog et tout le monde l’écoutait. A la fin de la soirée, plusieurs personnes sont venues me voir pour me dire combien elles avaient trouvé mon ami intéressant et passionnant.

 

Il était tout cela et bien plus encore et je mesure à quel point j’ai eu de la chance d’avoir pu le rencontrer.

 

lundi 29 janvier 2024

Petite bio de Moukmouk

Petite bio de Moukmouk

 

Il est temps de raconter ce que je sais de la vie de Moukmouk, ou, du moins, ce qu’il m’en a dit, le soir, devant le feu de cheminée dans sa ouache, à Pohénégamook.

 

De son enfance, il n’a pas gardé de bons souvenirs. Il était le petit dernier d’une fratrie. Il ne s’entendait pas avec son frère aîné (très antipathique), mieux avec sa sœur à qui il reprochait cependant de trop vouloir le materner. Comme je l’ai déjà écrit, il n’a jamais réussi à entrer dans le moule imposé par l’école religieuse où on l’avait envoyé. Il y était le petit sauvage perpétuellement en révolte.

 

Plus tard, il a refusé comme le voulait la tradition familiale, de devenir professeur d’université. Il a préféré travailler pour Radio Canada, la chaîne de télévision publique du Québec et il est parti dans le grand Nord, filmer la faune sauvage, pour les besoins d’un documentaire ou d’un film de cinéma.

 

Cinéaste animalier n’est pas un métier de tout repos. Pour espérer obtenir quelques secondes de film intéressantes, il faut passer des heures en planque, sans bouger, à guetter les ours polaires ou les oiseaux arctiques. Afin de résister au froid terrible, il avait adopté la méthode des Inuits. Il s’habillait comme eux, bougeait très lentement car il ne faut surtout pas transpirer et suçait continuellement des petits cubes de viande de phoque crue dissimilés entre deux paires de moufles. Comme vous vous en doutez, c’est immangeable pour le commun des mortels : il faut être né là-bas ou profondément motivé pour parvenir à avaler cette nourriture.

 

Malheureusement, l’avènement du numérique a mis fin à cette carrière qui le passionnait. Il est beaucoup plus rentable de créer des images virtuelles d’animaux que de les filmer dans leur décor naturel. Il a alors traversé une des périodes les plus difficiles de sa vie.

 

Il était marié à sa première femme et avait déjà son fils aîné et sa fille. La petite famille vivait dans une grande maison à mi-chemin entre Montréal et le grand Nord pour qu’il puisse plus facilement les rejoindre quand il avait terminé ses tournages.

 

Pour continuer à travailler, il a dû s’installer dans un logement minuscule à Montréal, loin des siens qu’il ne pouvait que difficilement recevoir chez lui. Il est tombé dans une profonde dépression et a divorcé. Il ne s’est pas retrouvé au chômage car il travaillait pour un organisme public mais il m’a avoué qu’il avait été payé à ne rien faire pendant un long moment.

 

Puis il a fini par rebondir : il a réalisé une série à succès qui a duré de nombreuses saisons et lui a permis de travailler jusqu’à sa retraite. Il a aussi rencontré sa deuxième femme et eu son deuxième fils. Malheureusement, cette dame cherchait surtout un géniteur pour son enfant et l’a très vite sorti de sa vie sitôt son désir satisfait. Il lui en voulait toujours alors qu’il conservait de bonnes relations avec sa première femme.

 

Il a toujours beaucoup voyagé pour son travail et il a continué au début de sa retraite. Sa fille vivait à Vancouver, son fils aîné, marié avec une Brésilienne, à Tokyo et son plus jeune fils, à Toronto. Il avait aussi une « blonde » en Suisse avec qui, il avait visité l’Italie, voyage dont il gardait un excellent souvenir.

 

Hélas, la maladie qui l’a emporté récemment s’est déclarée à ce moment-là ; sa petite amie suisse l’a viré et il a dû rentrer au Québec pour se faire soigner. Il a alors organisé sa vie entre son appartement à Montréal, l’hiver, et sa ouache au bord du lac de Pohénégamook qu’il rejoignait dès l’arrivée des beaux jours. Son plus grand bonheur était de recevoir sa famille au complet dans cette maison qu’il avait aménagée exprès pour ses nombreux petits-enfants.

 

C’est là que je suis allée le voir pour la première fois en automne 2019. Il avait déjà du mal à marcher et s’essoufflait rapidement mais envisageait quand même de venir me voir à Marseille l’hiver suivant. Puis son état a empiré et lui a interdit les voyages en avion… Puis la pandémie est arrivée et m’a empêchée d’aller le voir en 2020… Je n’ai pu me rendre à nouveau au Québec qu’en septembre 2021 (la frontière a été ouverte le 1er, je suis partie le 21) ce qui lui a permis de retourner à Pohénégamook dans ma voiture de location car le voyage en bus depuis Montréal était devenu trop fatigant pour lui. Mon dernier séjour au Québec a eu lieu durant l’automne 2022. Juste après mon départ, il a commencé une dialyse.

 

Je regretterai toujours de n’avoir pas pu aller le voir une dernière fois en 2023.

mercredi 10 janvier 2024

Moukmouk l'Indien

Pour les Européens, l’Indien exerce une sorte de fascination. Depuis le magnifique film « Danse avec les loups », il représente un peuple sage qui vit en communion avec la nature, qui la comprend, la respecte et la préserve.

 

Mais au Québec, le mot « Indien » a un sens nettement péjoratif. Il désigne le sauvage par opposition au civilisé, celui qui vit comme une bête en suivant ses instincts, sans morale ni foi. « Amérindien » qui pourtant corrige l’erreur de Christophe Colomb et des premiers explorateurs occidentaux n’est guère plus convenable. Alors comment faut-il dire ? ai-je demandé à Moukmouk.

 

On utilise maintenant les termes de « Premières Nations » (ou « Native » pour les anglophones) qui traduisent enfin la légitimité des premiers habitants du Nouveau Monde. Mais le mieux est de donner le nom de chaque tribu.

 

Encore faut-il les connaître car elles sont très nombreuses ! J’ai appris que, rien qu’au Québec, il y avait les Algonquins, tribus habitant les forêts, les Micmacs, tribus habitant au bord de la mer en Gaspésie, mais aussi les Hurons, alliés historiques des Français alors que les Iroquois étaient ceux des Anglais et bien d’autres encore.

De plus, tous ces noms ont été donnés par les colons européens et ne sont pas ceux d’origine.

Par exemple, Moukmouk faisait partie de la tribu des Malécites mais le nom véritable est « Wolastoqiyik ». Les terres de ses ancêtres que nous sommes allés visiter se trouvent à Cacouna, sur la rive sud du Saint-Laurent non loin de Rivière-du-Loup.

 

Il était très fier de sa grand-mère qui avait l’honneur suprême d’être mère de clan, personnage le plus important de la tribu, plus encore que le grand chef. C’est elle qui veille au bien-être de la tribu et décide entre autres, qui mangera en premier. Les missionnaires catholiques l’avaient bien compris car ils ont bâti de nombreuses églises dédiées à Sainte-Anne qui est, rappelons-le, la mère de la Vierge Marie et qui, de ce fait, tient le rôle de mère de clan dans la religion catholique.

 

Moukmouk avait très mal vécu sa différence quand enfant, on l’avait envoyé à l’école dans une institution privée catholique. Il était devenu un petit sauvage perpétuellement en rébellion contre ses enseignants. Adulte, il ne voulait plus mettre un pied dans une église et j’ai dû particulièrement insister pour que nous allions visiter la basilique Sainte-Anne de Beaupré sur la rive nord du Saint-Laurent. Et effectivement, on y trouve dans la crypte une fresque représentant le « bon » Indien converti à la « vrai » foi, en adoration devant une représentation de Sainte Anne.

 

A l’inverse, nous avons découvert dans le musée de la vieille Gare à Rivière Bleue, des manuels d’histoire du siècle dernier qui racontait la vie de « gentils » missionnaires torturés et mis à morts par de « vilains » Indiens. Ce musée construit comme son nom l’indique dans l’ancienne gare retrace l’histoire de la petite ville, de l’arrivée des premiers colons à son expansion au moment de la construction du chemin de fer. On y découvre comment on vivait autrefois dans ces contrées au climat très rude en hiver. On y voit même un minuscule abri antiatomique de deux mètres sur trois, exclusivement attribué au chef de gare ! En revanche, comme me l’a fait remarquer Moukmouk, on n’y trouve aucune mention des premiers habitants de ce pays, ces tribus qui l’ont occupé bien avant que les premiers Blancs ne s’y installent et s’emparent de leurs terres.

 

Heureusement, les mentalités évoluent petit à petit et les Québécois commencent à considérer les membres des Premières Nations comme faisant partie intégrante de leur histoire.

Pour preuve : le drapeau de Montréal. Il est composé d’une grande croix rouge délimitant quatre espaces. En haut : à gauche, la fleur de lys française et à droite, la rose anglaise. En bas : à gauche, le chardon écossais et à droite, le trèfle irlandais. Mais en 2017 on a rajouté au centre de la croix, un pin blanc, symbole des peuples autochtones.

 

 

mercredi 3 janvier 2024

Les Québécois

 

 

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vendredi 8 décembre 2023

Le lac de Pohénégamook

Pohénégamook signifie en langage malécite « campement d’hiver » car le lac entouré de collines était abrité des intempéries des plaines du Saint-Laurent. Mais notre ours poète préférait « La Belle Endormie » et son histoire qui pourrait être un pendant québécois de notre célèbre conte de Perrault « La Belle au Bois Dormant » se rapproche davantage des contes d’Andersen.

 

Un soir d’hiver et de neige, une jeune femme, arrive près du lac. On ne sait pas ni qui elle est, ni pourquoi elle erre seule, dans la nuit. On comprend seulement qu’elle marche depuis longtemps. Harassée, elle s’arrête enfin sur la rive et allume un feu. Puis, elle s’enroule dans une couverture de laine et tandis que les flocons se mêlent aux étincelles, elle s’endort tout doucement pour toujours.

Moukmouk me montrait alors les collines bordant le lac dont les formes arrondies rappelaient les courbes de la « Belle Endormie ».

 

Une autre légende circule sur le lac, beaucoup plus amusante.

De même que dans le fameux Loch Ness écossais, un monstre y séjournerait depuis très longtemps. Les riverains l’ont appelé Ponik. Il vivrait dans une grotte sous-marine située à l’une des extrémités du lac et aurait la forme d’un canot renversé orné d’une crête.

 

D’après Moukmouk, c’est une créature timide et craintive qui ne se montre que très rarement. D’après les études scientifiques, un gisement de gaz, le jaillissement d’une source ou juste la remontée d’un arbre mort seraient à l’origine de ce mystère.

 

Un groupe d’étudiants en zoologie a effectué une recherche très sérieuse en se basant sur le volume d’eau du lac afin de calculer s’il pouvait abriter suffisamment d’êtres vivants pour nourrir une créature de cette taille. Sans surprise, le résultat s’est révélé négatif.

 

Nous avions vu cet article sur Internet ensemble et je me souviens avoir fait remarquer à Moukmouk qu’il aurait plutôt fallu calculer le volume de bière à ingurgiter à la brasserie locale pour avoir une chance d’apercevoir la créature en rentrant chez soi.

 

Opinion confirmée après ma visite chez un artiste du coin : le sculpteur Sylvain « Elvis » Lavoie. Ce grand admirateur du premier rocker américain fabrique des meubles monumentaux en bois massif, ornés de motifs sculptés, très souvent marqués du sigle Harley Davidson et ornés quelquefois de la silhouette de Ponik. Il m’avait affirmé très sérieusement avoir aperçu le monstre nageant à la surface de l’eau quelques années auparavant, alors qu’il pêchait sur le lac. Il allait même être interviewé par une télé locale au cours des semaines suivantes et m’enjoignit de regarder le documentaire dès sa diffusion.

 

Je ne l’ai pas fait d’autant plus que Moukmouk m’a aussi confié que son père qui était très farceur avait imaginé un été, de se baigner dans le lac sous une vieille coque de canoë pour faire une blague aux touristes.

 

Alors, la Belle Endormie et Ponik : mythe ou réalité ? Peu importe. Le lac de Pohénégamook reste un lieu magique, féerique en automne et vaut largement le détour même si l’ours poète n’est plus là pour en raconter toutes les légendes.

 

lundi 27 novembre 2023

La ouache de Moukmouk

Il y passait plusieurs mois par an, de la fin de l’hiver aux premières neiges de novembre. C’était comme on dit au Québec, une maison « trois saisons ». Trop isolée pour que la neige soit déblayée régulièrement l’hiver et pas assez pour affronter le froid terrible qui peut s’abattre sur cette région pendant plusieurs mois.

 

Quand il était encore suffisamment en forme pour y aller seul, il avait un long voyage à faire car il avait rendu son permis de conduire après une première alerte cardiaque. Il devait prendre un bus de Montréal à Québec, puis un autre jusqu’à Rivière du Loup où le fils de madame Jacqueline, sa femme de ménage, venait le chercher en voiture pour parcourir à travers la forêt, les soixante kilomètres restant pour arriver à destination.

 

A l’entrée de Saint-Eleuthère, on tourne à gauche pour prendre le chemin de la Tête du Lac. Il est bordé de résidences secondaires plus ou moins imposantes, parfois avec dépendances, garages, hangar à bateaux et embarcadère privé, parfois plus modestes. Néanmoins, elles ont toutes un point commun : elles s’offrent largement à la vue du visiteur avec leur façade pimpante, leur jardin bien entretenu où pas un brin d’herbe ne dépasse, orné de massifs de fleurs et parfois d’animaux en plastique : biche, écureuil, lapin…

 

Toutes… sauf celle de notre ours, dissimulée derrière un rideau d’arbres, tellement peu visible que j’en ai souvent raté l’entrée en voiture ou même à pied. Il m’a dit un jour : « Moi, je sais planter les arbres mais pas les petites fleurs ». C’est donc une bâtisse en bois, peinte en blanc, de plain-pied, avec son garage attenant à l’habitation principale. Au fond, sur la droite, on aperçoit un petit hangar à bateaux dont la porte qui a beaucoup vécu est décorée d’un dessin au pochoir : Socrate le chien, disparu depuis, y admire un papillon. Moukmouk pratiquait la voile sur deux dériveurs : un Hobie Cat et un 470, Quat’sept disent les voileux. Comme j’aurais aimé naviguer avec lui sur le lac ! On aurait formé un sacré équipage !

 

La porte d’entrée donne directement sur la pièce à vivre, très vaste et lumineuse, avec la cuisine à gauche, le salon à droite. Au fond, les rayonnages d’une bibliothèque à côté d’une cheminée en pierre devant laquelle nous avons passé bien des soirées. Au milieu de la pièce, un fauteuil à roulette devant le vieil ordinateur sur lequel il se connectait à Twitter. L’ameublement est vieillot mais confortable Il voulait avant tout que ses petits-enfants se sentent bien chez lui et puissent s’amuser sans crainte de casser ou d’abimer quelque chose. Sa seule concession à la modernité était une plaque de cuisson à induction pour laquelle, il avouait être « tombé en amour » car il adorait faire la cuisine.

 

Mais ce qui marque le plus dès qu’on franchit le seuil de la maison, c’est, juste en face, la grande baie vitrée avec sa vue magnifique sur le lac. 

 

C’est dans cette maison, sa ouache comme il l’appelait, qu’il était le plus heureux. Il y a passé avec moi son dernier séjour en automne 2022.

 

Mouette Moqueuse

mercredi 22 novembre 2023

Au revoir, Moukmouk

Moukmouk, notre bel ours de Pohénégamouk, nous a quittés il y a quelques jours. Mais comme c'était un ours particulièrement intelligent, il avait choisi de nous demander, à Noé et moi, si nous voulions bien retaper son vieux blog qui fonctionnait mal. Et c'est ainsi qu'il est désormais hébergé chez nous. 

Mi-septembre, Moukmouk m'avait demandé si j'étais d'accord pour le garder en ligne un mois ou deux, quand il ne serait plus là. Je crois qu'on va faire mieux. Je crois qu'on va garder ce blog en ligne pour tout le temps qu'il nous sera possible de le faire. 

Ca fait presque 20 ans qu'on avait fait connaissance. Moukmouk écrivait à toute une bande de blogueurs et blogueuses pour nous demander si on voulait qu'il nous raconte des histoires. Une fois la surprise passée, on a été nombreux(ses) à dire oui. Et elles étaient tellement formidables, ses histoires, qu'on lui a suggéré (lourdement et répétitivement), d'ouvrir le sien, de blog. Il a résisté autant qu'il a pu, mais a fini par nous écouter. Et c'est tant mieux parce qu'en plus de son souvenir, on gardera ses mots longtemps avec nous, à défaut de pouvoir le serrer à nouveau dans nos bras.

J'ai rarement rencontré quelqu'un qui touchait autant les gens et je suis très fière d'avoir été son amie, pendant presque deux décennies.

Il en avait une autre, de grande amie, qui a eu la lourde tâche d'annoncer son décès. Merci Mouette Moqueuse. On s'est parlé un peu et elle a accepté en un éclair l'idée de vous partager un peu de son amitié avec Moukmouk. Voici ses mots à elle. Et vous pourrez bien sûr laisser les vôtres en commentaire.

Sacrip'Anne

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Moukmouk


Qui aurait cru que sur ces réseaux sociaux tant décriés, on pouvait faire une aussi belle rencontre ?

C’est pourtant bien sur Twitter, que moi, la mouette marseillaise, j’ai rencontré notre ours québécois.

Tout de suite, comme beaucoup d’autres, j’ai été séduite par ses jolies histoires d’animaux, de père Noël, pleines de poésie et de sagesse. Et puis, j’étais attirée par son pays dont il parlait si bien depuis sa petite maison de Pohénégamook, avec ses lacs, ses forêts, ses grands espaces et la neige dès le mois d’octobre, un pays si différent du mien, moi qui vis au soleil des bords de la Méditerranée.*


Alors, un jour, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai traversé l’océan pour le rencontrer. Et immédiatement, nous nous sommes bien entendus.

Pourtant, la maladie avait déjà commencé à l’affaiblir et il marchait de plus en plus difficilement. Mais, je louais une voiture et nous partions visiter Québec ou voir les baleines à Tadoussac. Nous avons même fait, une année, une virée mémorable en Gaspésie. Je l’ai aussi emmenée revoir les terres de ses ancêtres malécites à Cacouna, admirer la cascade à Rivière du Loup ou l’envol des oies sauvages au bord du fleuve Saint-Laurent.

Mais ce qu’il préférait par-dessus tout, c’était s’installer face à sa baie vitrée et contempler inlassablement son lac dont les couleurs changeaient sans cesse tout au long de la journée pendant que je courais les bois, découvrais les sentiers alentours, rencontrais un sculpteur improbable ou explorais une base de loisirs désertée.


Le soir venu, il allumait un feu dans sa cheminée, nous nous installions chacun dans un fauteuil et nous discutions pendant des heures de tout et de rien.


Il me racontait sa vie, peu ordinaire, son enfance en révolte contre l’institution religieuse où on l’avait scolarisé et qui n’avait pas réussi à faire entrer dans le moule, le petit sauvage qu’il était alors. Plus tard, il n’avait pas voulu être professeur à l’université et contre l’avis de sa famille, il était parti filmer les ours blancs et les oiseaux du grand Nord canadien. Pour son métier, il avait voyagé aux quatre coins du globe.


Sa vie sentimentale aussi avait été mouvementé : un mariage, un divorce, un autre mariage qui avait échoué aussi. Quand je l’ai rencontré, il sortait d’une
rupture douloureuse qui l’avait beaucoup éprouvé. Il me parlait aussi souvent de ses enfants et petits-enfants qui vivaient loin de lui, au Japon, à Toronto et Vancouver. Il regrettait de ne pas les voir plus souvent.


Maintenant, il n’est plus là. J’ai perdu un ami, c’est un grand vide pour moi. De plus, comme je n’ai pas pu me rendre au Québec cette année, je n’ai pas pu véritablement lui dire au revoir. Ce sera un de mes plus grands regrets...

Mais il me reste les souvenirs de tous ces moments partagés, de toutes ces belles histoires qu’il m’a racontée, et des flamboyantes couleurs de l’automne au coucher du soleil sur le lac de Pohénégamook.

Mouette Moqueuse

 

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